Elza Soares chantera la liberté jusqu’à la fin du monde

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La septuagénaire brésilienne Elza Soares exalte la liberté dans l’un des très grands disques de l’année 2016.

Elza Soares, l’indestructible mamie

2016, tu seras bientôt passée, chassée, archivée dans de vieux classeurs qui prendront la poussière. Arrive l’heure du bilan et des nécrologies. Sur ma tête, le gris gagne du terrain. Au coin de mes yeux, quelques rides de plus. Un mariage. Trois enterrements : David Bowie, Sharon Jones, Leonard Cohen. Mes enfants grandissent. Mes grands-mères courent un peu moins vite. Et, même s’il se fait tard, je m’accroche aux petits plaisirs. Ma patience est bien récompensée. Je suis allé jusqu’au bout du monde pour chercher le disque qui te sauvera la mise et je l’ai trouvé(e) : La femme de la fin du monde, Elza Soares.

Je n’aurais jamais cru que je tomberais amoureux d’une femme qui a l’âge de ma grand-mère. Mais, du haut de ses 79 printemps, Elza Soares est la mamie un peu punk dont on a tous rêvé. Cheveux violets, regard fier, verbe acéré, elle n’a pas l’air de craindre grand-chose. La mort ? Ça fait des années qu’elle lui dit “Fuck”. Alors, tant qu’elle chante, et jusqu’à la fin du monde, elle restera droit dans ses bottes, libre et inspirée.  Je me moque, souvent à raison, des chanteurs de vingt ans qui sonnent comme s’ils étaient déjà au bout de leur vie. Elza Soares, c’est tout l’inverse. Elle a presque 4 fois vingt ans et chante, de sa voix grave et éraillée, comme si elle était indestructible.

Elza Soares

Photo : Stéphane Munnier

Chanter jusqu’à la fin du monde

Il faut dire qu’elle a vécu, Elza Soares. Née dans une favela de Rio de Janeiro, mariée de force à 12 ans, veuve à 21, elle voit mourir un de ses enfants de malnutrition. Elle démarre sa carrière musicale dans les années 50, en chantant dans des hôtels et des bars. Régulièrement, elle n’est pas autorisée à monter sur la scène à cause de sa couleur de peau. Dans les années 60, elle connaît une courte période de succès avant que sa liaison avec le célèbre footballeur Garrincha fasse les choux blancs de la presse. Tous deux expulsés du pays à l’arrivée au pouvoir de la junte militaire en 1969, ils reviennent quelques années plus tard, ont un fils en 1976. Mais le penchant de Garrincha pour l’alcool lui sera fatal. Il meurt d’une cirrhose en 1983. Et, en 1986, leur fils sera tué dans un tragique accident de circulation.

Après une longue traversée du désert, elle sort un nouveau disque en 1997. Choisie par la BBC World pour représenter le Brésil dans une série de concerts pour le passage à l’an 2000, Elza Soares confirme son grand retour. Elle recommence à tourner à à enregistrer régulièrement. Au point de devenir une icône auprès de la jeune scène underground brésilienne. Rien d’étonnant pour une femme qui incarne à elle seule nombre de paradoxes et de contradictions du pays.

Elza Soares

Un album furieusement jouissif

Et voilà notre septuagénaire, toujours verte, entourée par la crème des musiciens indépendants locaux, qui sort son 34ème album studio : A mulher do fim do mundo. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette équipe, biberonnée à la samba mais aussi nourrie d’influences rock, post-rock ou encore free-jazz, a su bâtir un monde à la (dé)mesure d’Elza Soares. On n’avait rarement (jamais ?) entendu une chanteuse de cet âge rajeunir à ce point. De l’ouverture a cappella, Coraçao del Mar, au final Comigo, le disque respire la liberté à pleins poumons. Le propos est clair : “Eu vous até o fim cantar” (“je chanterai jusqu’à la fin”). Et, de fait, Elza Soares envoie valser toutes les entraves : la morale qui emprisonne les corps, le racisme, la mort, elle emmerde tout ça joyeusement. C’est délicieusement subversif et furieusement jouissif. Bref, indispensable.

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