J’ai entendu : Alsarah & The Nubatones – Silt

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Bureau en pagaille. Montre au ralenti. Ennui rémunéré. Regard par la fenêtre. Bande de ciel bleu entre deux murs gris. Se lever. Balancer les feuilles éparses dans la corbeille à papiers. Fracasser au sol l’écran d’ordinateur. Partir. Loin. Se raviser. Ne rien faire. Rester. Point mort.

Englué sur mon siège de bureau, comme une mouette mazoutée un jour de marée noire, je reste là à compter mes petites défaites. Immobile quand il faudrait bouger. Tétanisé à l’idée du départ. Vers où ? Pour quoi ? Paralysé, sur le quai de la gare, je regarde les trains qui passent et j’attends.
Le monde tourne mais je ne le vois pas. Je l’imagine. J’en perçois confusément les contours, les odeurs, les bruissements. Toutes ces choses que j’ai lues dans les livres. Et puis, il y a la musique, sans laquelle la vie ne mériterait pas qu’on s’y attarde.
Je ne connais pas l’Afrique. Je ne sais rien d’Alsarah. Je ne sais pas qui elle est, d’où elle vient, je ne comprends pas ses mots. Et pourtant, irrésistiblement, comme par un aimant, je suis attiré par sa musique. Tout seul dans mon coin, avec ma bande de ciel bleu, je découvre des endroits inconnus, des territoires disparus.
Originaire du Soudan, Alsarah est fortement marquée par la musique nubienne des années 60 et 70. Sa musique, qu’elle qualifie elle-même de “rétro-pop est-africaine”, est imprégnée par l’histoire de la Nubie. Dans les années 60, les Égyptiens lancent la construction du Haut Barrage d’Assouan pour contrôler le débit du Nil. Mais ces travaux sont aussi à l’origine de l’une des plus grandes catastrophes écologiques et sociologiques de l’Histoire. En  1970, la Nubie est engloutie par les eaux du fleuve et des centaines de milliers d’habitants sont chassés de leurs terres.

L’album est traversé par cette nostalgie d’une terre perdue, d’un chez-soi qui n’existe plus, par l’idée de ce retour impossible. C’est d’ailleurs autour d’une conversation sur les migrations entre Alsarah et le percussionniste Rami El Aasser que les Nubatons ont vu le jour.  Le concept de migration occupe une place centrale dans Silt tout comme la fusion musicale qui a eu lieu dans les années 70 à Khartoum et le mélange d’influences orientales et nord-africaines. Alsarah chante les déplacements, volontaires ou forcés, mais aussi l’espoir, la joie et l’amour qui perdurent malgré tout. Si la nostalgie est vivace, elle ne se mue pas en auto-apitoiement. La vie continue.

Pour nous, pour moi, petits occidentaux, le cul posé sur nos richesses et qui, pourtant, passons le plus clair de notre temps à nous plaindre, la musique d’Alsarah & The Nubatones, outre le fait qu’elle nous emmène ailleurs, loin de nos petites contrariétés, est aussi pleine de leçons à méditer. Alors, c’est promis, ami lecteur, je poursuis ma musicothérapie et j’arrête de marronner dans mon coin, avec ma bande de ciel bleu.

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