Dans le grenier poussiéreux, au milieu d’un bric-à-brac hétéroclite, entre les photos de famille jaunies et le canapé éventré, traînent un vieux cheval à bascule, un Stetson défraîchi, une paire de santiags usées jusqu’à la corde et un pistolet en plastique. L’enfant, que les toiles d’araignée n’effraient plus depuis longtemps,  s’avance et rassemble ces objets, disséminés aux quatre coins de la pièce. Puis l’imagination fait le reste. Le vieux cheval en bois s’anime, s’offre une énième cavalcade, soulevant, autour de lui, des nuages de poussière aveuglants. Dans ce brouillard, des volants de badminton multicolores, posés là, on ne sait par qui, ni pourquoi, ont tôt fait de ressembler à des coiffes d’indiens. Ni une, ni deux, le cowboy  en herbe se saisit de son arme et improvise un galop impromptu en direction des plumes. Quand il s’approche, l’indien a disparu. Volatilisé. Où est-il passé ? Il semble s’être fondu dans le paysage aride de la plaine. Pourtant, je l’ai vu, se dit l’enfant, poursuivant ses investigations. Mais l’indien demeure introuvable. Pas la moindre trace de son passage. Cette image fugace le hantera pour le reste de ses jours. Il n’aura de cesse de chercher une explication à ce qui s’est passé, ce jour-là, dans le grenier. 

De toutes les voies explorées, bien peu se révéleront satisfaisantes. Seule la musique lui permettra de renouer avec ce souvenir vivace. Au détour d’un riff de guitare, dans un nuage de fumée, Pokayoké lui apparaîtra de nouveau. Il parlera peu mais voudra dire beaucoup. Il lui tendra le calumet de la paix et prononcera uniquement ces mots : “Si tu veux m’invoquer à nouveau, joue, et je viendrai à toi.” Depuis, dès lors que Travel Check se met à jouer, c’est un peu de l’esprit du chef indien qui plane sur l’auditoire. Pas étonnant, dans ces conditions, que la très belle pochette du nouvel EP des Parisiens soit à l’effigie de leur guide spirituel. Pas étonnant non plus que le premier des trois titres de Wild Tropics porte son nom. Le décor est vite planté. Guitares psychédéliques, batterie syncopée, la musique de Travel Check est l’équivalent sonore d’un trip sous acides dans le désert de Mojave. Une chevauchée fantastique et enfumée dans les plaines arides du Far West. On y retrouve les motifs entêtants du psychédélisme des sixties mais avec cette touche résolument moderne qu’ont su lui insuffler des groupes comme les Black Lips ou les Growlers. C’est à la fois formidablement en place et délicieusement de travers, un travail de précision exécuté avec une apparente nonchalance. Sorti le 4 mars dernier chez Howlin Banana, Wild Tropics est une expérience sensorielle et spirituelle obsédante. Il suffit de fermer les yeux et de se laisser porter par la musique. Et peut-être, à votre tour, vous croiserez Pokayoké.