Je roule. Je ne sais pas où je vais. A cette heure-ci, toutes les routes se ressemblent. La nuit tombe, quelques gouttes de pluie, un léger brouillard aussi. Pleins phares. Un panneau. Vaudémont.

Toi, assise sur le siège passager, tu fais le mort. Les yeux mi-clos, mi-scotchés au paysage, c’est à peine si tu m’écoutes. Je parle pour ne rien dire. Je dis ce qui me passe par la tête. Tu t’en fous. Il fait moche. Quand est-ce qu’on arrive ? Je ne me souviens plus où on va. Je ralentis. Je fais demi-tour. Pourquoi t’as oublié ce putain de GPS ?

Vaudémont, et les miens aussi, sont dans ce disque de Manuel Etienne. Le temps qui passe, le temps qu’il fait, les petites morts et puis les grandes, tout y est. Les souvenirs d’enfance, les dimanches grisâtres, les routes qu’on aurait dû prendre, celles qui mènent nulle part. Dimitri, le petit chien.

Comme un copain d’avant qu’on n’aurait pas vu depuis longtemps, Manuel Etienne sort les albums-photos – images floues, un peu bancales, pas toujours bien cadrées – se dévoile sans en faire des tonnes, capture avec justesse la poésie du banal. Tantôt dans le champ, tantôt un peu à côté, il cultive un charme discret, parle le Bashung ou le Daniel Darc sans jamais cesser d’être Manuel Etienne.

Vaudémont est un grand disque qui s’ignore, beau et modeste à la fois. Non seulement les textes y sont excellents mais musicalement, ça connaît son affaire sur le bout des doigts. L’album trouve sa place dans cet entre-deux (trop) rarement emprunté par la scène française, quelque part entre spontanéité rock et élégance pop.

“Christophe, Frank Black, Philip Glass et Daniel Darc dans le même bateau”. Un casse-tête pour les colleurs d’étiquettes mais une bouffée d’air pour les chercheurs d’or musical. Le genre de disques qu’on écoutera trop peu et qu’on ressortira vingt ans après en se demandant comment on a pu passer à côté.