Mes vinyles qui craquent – Ep.2 : Serge Gainsbourg – Histoire de Melody Nelson

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Mon fils est encore trop petit pour ce genre de considérations mais, un jour ou l’autre, et chaque parent devrait s’y préparer, la question à 100 balles, l’interrogation fatidique, celle qui vous fait vous gratter longuement la tête, prendre un air pénétré et tousser pour vous éclaircir la voix, finit par vous tomber dessus. Cette question tellement épineuse qu’il faut prendre des gants pour y répondre, ce n’est pas de savoir comment on fait les bébés. Trop facile! Tous les parents connaissent la réponse et devraient, moyennant quelque talent de vulgarisateur ou de mime, selon que vous êtes plutôt didactique ou théâtral, être en mesure de satisfaire la curiosité de leurs bambins. Ce n’est pas non plus d’expliquer à vos chères têtes blondes comment papa et maman se sont rencontrés. Chaque couple a, en réserve pour l’occasion, une version officielle de ce moment béni où leurs chemins se sont croisés pour ne faire plus qu’un. Une version qui n’implique pas une consommation excessive d’alcool, un plan à trois dans les toilettes ou quelque autre turpitude ayant cours dans la vraie vie mais cruellement déplacée dans un conte de fées. Avec un minimum d’imagination, vous devriez pouvoir vous débrouiller avec celle-là. Mais, que le fruit de vos entrailles vous demande, avec une candeur tout enfantine, “dis papa, papa, c’est quoi le meilleur disque qui ait jamais existé?”, et vous voilà tremblant, fébrile, groggy, mal en point, suffoquant, blêmissant à présent qu’a sonné l’heure, foutu, KO, échec et mat. L’enfant perçoit votre trouble mais, avec une perfidie tout enfantine, vous somme de répondre illico. S’il n’en fallait qu’un, lequel choisiriez-vous? J’ai tourné et retourné cent fois, mille fois ma veste, tourné et retourné cent fois, mille fois ma langue dans ma bouche ou dans la bouche de quelqu’un d’autre et j’ai ta réponse, mon fils. Melody Nelson.

Souvent imité, jamais égalé. Parfait de bout en bout. Le plus grand album du plus grand artiste. Que ceux qui ne sont pas d’accord ne vienne pas se répandre en commentaires haineux. Sur Gainsbourg, je suis intransigeant. Ce mec était un génie absolu. Il réunissait toutes les imperfections auxquelles je pouvais m’identifier et toutes les perfections auxquelles j’aspirais. Pendant toute une période, entre la fin de l’adolescence et le début de l’âge adulte, j’ai cru dur comme fer que j’étais sa réincarnation. J’ai trop bu, trop fumé, baisé quand j’y arrivais, écrit quelques textes, vaguement essayé de me mettre à la musique. Soyez rassurés, ça m’est passé. Mais, quand même, Melody Nelson, c’est juste  parfait. Paroles, compositions, arrangements, tout est tellement loin au-dessus de la mêlée. C’est du velours dans les oreilles, du nectar dans les tympans. Du grand art que cette variation sur le thème de Lolita. Gainsbourg y magnifie sa muse, Jane Birkin qui est à la fois l’image et la voix de Melody Nelson. Concept-album littéraire et musical, Melody Nelson est une œuvre intemporelle qui, 40 ans après sa sortie, continue d’inspirer nombre d’artistes français et étrangers. Si Gainsbourg en est bien entendu le principal maître d’œuvre, l’album doit aussi beaucoup aux orchestrations splendides de Jean-Claude Vannier. Les thèmes musicaux s’enchevêtrent, se répondent, les motifs récurrents donnent à l’ensemble une cohérence inouïe. De la première à la dernière note, on est transporté par le génie et l’étonnante modernité qui se dégage de l’écoute. Subversif, érotique, grandiose, classieux… Alors, que les choses soient claires entre nous, fiston, si tu n’aimes pas Melody Nelson, je te déshérite…

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