Tout plaquer. Balancer l’ordinateur du bureau dans le couloir sous le regard effaré de vos collègues. Ne plus vous laisser, cochez la case qui correspond le mieux à votre situation, brimer, humilier, intimider, bousculer. Claquer la porte, bruyamment. Appeler votre patron et lui dire, d’un ton enjoué, ce que, trop longtemps, vous avez gardé pour vous : “je t’emmerde, espèce de fumier, tu n’es qu’un croisement pathétique d’Oncle Picsou et de Monty Burns”, ou que sais-je encore. En pareilles circonstances, la force d’évocation doit primer sur l’élégance du langage. Un seul mot d’ordre : lâchez-vous, c’est la dernière fois. N’attendez pas d’avoir retrouvé votre calme, vous bafouilleriez une semi-insulte inaudible et laisseriez à votre interlocuteur le loisir de contre-attaquer. Il faut qu’il se sente acculé, dans les cordes, comme un boxeur qui subirait une avalanche de crochets dévastateurs. Raccrocher brusquement. Se sentir léger l’espace d’un temps. Franchir la porte, dopé par ce sentiment grisant de liberté à conquérir. En rêver ne serait-ce qu’une seconde, le temps d’un battement de cil. Mais rester malgré vous, rester malgré tout. Choisir la facilité, choisir la lâcheté. Penser à la femme et aux enfants, aux factures et au loyer. Fermer votre gueule, avaler des couleuvres en silence. Perdre votre dignité, ne plus pouvoir vous regarder dans le miroir. Vous sentir mesquin, médiocre, vide de sens. C’est donc ça, être adulte? Quelle connerie. Un jour, d’un revers de la main, une jeune femme envoie valser ses études en histoire de l’Art, se choisit une nouvelle identité et décide de faire de ses rêves une réalité. Joe Bel était née.
Avec sa guitare et ses chansons pour seuls bagages, la belle rouquine est partie, il y a quelques mois à la conquête de son public. Lui résister? Impossible. Sous son joli minois, elle cache non seulement une volonté sans faille mais aussi une sacrée dose de talent. Dire qu’il y a peu, elle écrivait, composait et chantait encore seule dans son coin. Petits plaisirs solitaires désormais partagés, les chansons de Joe Bel portent en elle la beauté des choses simples, l’évidence d’une vérité qui se dévoile, la force de celle qui croit en son destin. Il en faut du courage pour accepter enfin de devenir ce que l’on est, ne plus s’autoriser d’excuses ou de tergiversations, se mettre à nu. La musique d’abord comme journal intime. Et puis les rencontres font le reste. Le bassiste Benoît Lecomte, le guitariste Julien Lacharme et le batteur et percussionniste Robin Vassy se laissent tour à tour charmer par l’univers de la demoiselle et se joignent à l’aventure. Joe Bel, du haut de ses 25 printemps, déploie sa voix soul et chaleureuse sur des mélodies pop mâtinées de folk et d’un soupçon de hip-hop. Son premier EP In the City est l’acte de naissance d’une grande artiste, l’éclosion d’une jolie fleur. En l’écoutant, j’ai presque l’impression qu’elle est dans la pièce, à quelques pas de moi. Un sentiment d’intimité qu’on rencontre rarement dans la musique actuelle. Il se dégage de ces cinq titres une éblouissante pureté, une sincérité sans fard, dénuée d’artifices. Un bonheur simple et enivrant.