Morituri, ou l’aérienne gravité de Jean-Louis Murat

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Jean-Louis Murat sort Morituri, chronique d’une année 2015 entre chaos et poésie…

Là-haut, près du volcan endormi, demeure le poète. Là-haut, on n’entend que le silence et le temps prend son temps. Les nouvelles arrivent lentement, comme un écho lointain. Les rumeurs de la ville sonnent flou, comme si on avait la tête sous l’eau. Si le monde s’arrêtait de tourner, les ailes du moulin n’en seraient guère émues et le poète aux yeux mouillés n’aurait pas l’air surpris.

Il sortirait de son tiroir des feuilles aux bords froissés, des suites de mots griffonnés au crayon, qui seraient hiéroglyphes aux yeux des insensés. Ses mots nous parleraient mais lui resterait silencieux. Il refuserait d’emblée de mettre ses pas dans ceux des marcheurs. On ne pense pas avec les pieds, songerait-il. Et le temps passerait, mais pas le cafard. Plus tard, les mots sortiraient de leur carapace pour se frotter aux éclats de rêves. Ceux qui vont mourir s’adresseraient à d’autres mourants. Morituri te salutant.

Jean-Louis Murat

Jean-Louis Murat a le regard clair de ceux qui voient dans la nuit. 2015 a beau avoir été poisseuse, Morituri n’est pas un disque aux semelles de plomb. Où d’autres auraient marché à tâtons ou avancé avec leurs gros sabots, il chante les coups durs avec une aérienne gravité. Non, tout ne tourne pas rond. Oui, il sont Tous Mourus. “Mais sont-ce bien là raisons, ma mie, pour chialer dans la cuisine ?”. L’air du temps sent le soufre et la tristesse. La mort fait planer l’ombre des doutes mais, malgré la déroute, la musique de Murat conserve ses élans de désir.

Ses textes ne sont pas en reste. “L’Auvergnat” est bien trop lettré pour se laisser absorber dans le pathos d’une année noire. Allusions historiques et métaphores sibyllines lui évitent d’affronter le propos de plein fouet. Chez lui, le pas de côté est toujours salutaire. Sa poésie nourrit même ce qui en semble dénué. Jean-Louis Murat a le don rare de réenchanter le monde dès qu’il donne de la voix. Chaque mot est comme un cataplasme posé sur une plaie. Mélancolique mais nécessaire. Nécessairement mélancolique. Chronique d’une année où on aura souvent touché le fond, Morituri atteint pourtant les sommets. Ce n’est pas le moindre de ses paradoxes.

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