A l’heure où des armées de petits monstres, sorcières, fantômes et autres vampires s’amusent à déferler dans nos rues d’ordinaire paisibles, à l’heure où des marionnettes déguisées en policemen verbalisent des cyclistes imaginaires, à l’heure d’hiver où la nuit se met à piétiner le jour toujours plus tôt que prévu, je n’en finis plus de mourir d’ennui dans mon open space aux faux airs de prison. A travers grilles et barreaux, les cris des enfants résonnent à mes oreilles. Une alternative simple émane de leurs visages masqués et inquiétants : la bourse ou la vie. Balancer mes dossiers par la fenêtre, prendre une bouffée d’air pur, dire à qui de droit qu’il peut bien aller se faire foutre ; ou bien choisir la frilosité, rester au chaud dans ma cellule, ne pas faire de vagues, penser à ma femme, mon fils, mes factures et fermer ma gueule. Je me sens lâche, incapable de faire de ma vie ce que je voudrais qu’elle soit. J’aurais peut-être dû me cacher à mon tour, me déguiser en mon patron, croque-mort, épouvantail, vampire aux canines saillantes, pour faire peur aux grands-mères et aux petits-enfants. Je suis resté là, pathétique soldat obéissant, insignifiant. Petit fantôme, petite sorcière, je t’en supplie : si un jour, un vieux monsieur bien habillé te propose des bonbons en échange de quelque service, balance-lui un gros coup de pied là où ça fait mal et sauve-toi à toutes jambes. Ne monnaye pas ta liberté, c’est un bien trop précieux. Toi qui poses fièrement sur la pochette de Dead Man’s Bones, en momie, en mort-vivant, fais le choix de la vie. La musique des cœurs qui battent est plus forte que le cliquetis des machines à sous.
Dead Man’s Bones, donc, est l’œuvre d’un certain Zach Shields, inconnu au bataillon, et de l’acteur Ryan Gosling. Si aujourd’hui, il est tout auréolé de sa prestation dans Drive, au moment de la sortie de l’album, en 2009, peu de gens, hormis les cinéphiles obsessionnels, auraient été capables de citer le moindre élément de sa filmographie. C’est sans doute ce qui a sauvé le disque, en lui permettant de vivre sa propre vie, indépendamment de toute autre considération. Le pire aurait sans doute été qu’il fût catalogué comme l’œuvre d’un comédien qui se pique, à ses heures perdues, de faire de la musique. Dead Man’s Bones vaut bien mieux que ça. D’ailleurs, après quelques secondes d’écoute, les doutes sont vite dissipés. Non, il ne s’agit pas de la dernière toquade d’un jeune loup ambitieux du showbiz mais d’un concept-album original, richement référencé et suffisamment bizarre pour dissiper tout malentendu. Avec, en toile de fond, toute l’imagerie halloweenesque, le duo réussit à imposer un univers étrange et entêtant. La voix de crooner de Gosling s’entremêle habilement à des chœurs d’enfants, sublimes et déconcertants, qui donnent un supplément de densité à une grande partie des titres. In The Room Where You Sleep, Pa Pa Power ou encore Werewolf Heart, les trois pièces-maîtresses de l’album témoignent bien du degré d’exigence et de qualité du disque. Un album parfait pour une soirée d’Halloween, après une journée pourrie au bureau, mais aussi une traversée inquiétante qui risque bien de vous hanter pendant de longues semaines.