Je reproche parfois aux musiciens actuels de manquer d’originalité. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas le cas de Charlie Looker, le leader du groupe Extra Life (cf J’ai entendu : Extra Life – Dream Seeds). Influences médiévales, culture musicale, Carl Jung, exploration du subconscient, voilà autant de sujets abordés dans cette interview exclusive, la plus intéressante que j’aie réalisée à ce jour…
Votre musique est parfois qualifiée de “plague pop” (plague = la peste). Qu’est ce que ça vous inspire et comment qualifieriez-vous votre propre son?
Je trouve ça marrant. C’était probablement une plaisanterie. En général, les étiquettes sont assez amusantes. Il est évident que nous ne sommes pas du tout un groupe “pop”, mais parfois les gens utilisent ce mot pour décrire n’importe quelle musique mélodique et basée sur la voix. Ce truc de la “peste” vient certainement du fait que mon style vocal ait une sonorité médiévale. Une bonne partie de ma musique ancienne préférée vient de l’Europe du 14ème siècle, une période à laquelle la peste faisait rage.
Justement, vous parlez de musique ancienne. Je ne vais pas faire semblant d’être plus cultivé que je ne le suis, je n’y connais pas grand-chose. Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous attire dans cette musique et pourquoi vous avez trouvé intéressant de mélanger cette inspiration avec des influences plus modernes?
Mélanger les styles, ce n’est pas quelque chose que je fais délibérément, de manière calculée. Ça arrive comme ça. J’aime bien la forme des mélodies dans la musique du Moyen-Age et de la Renaissance, alors quand j’écris des mélodies, elles finissent par sonner de cette façon. Les mélodies ne sont pas entraînantes. Elles sont plus longues, elles coulent, bougent, montent et descendent avant de revenir au calme. Ces mélodies serpentines ont un effet différent, une charge émotionnelle différente que des mélodies plus courtes et répétitives. Mais cependant, je pense que sur Dream Seeds, l’influence médiévale sur mon chant est moindre que sur les disques précédents. Les mélodies se rapprochent en fait un peu plus de la pop ou du rock.
De manière générale, trouvez-vous que les gens qui font du rock et ceux qui en écoutent manquent de culture musicale?
Non, je ne crois pas. Je pense que la plupart des fans de musique indépendante sont assez cultivés. Ce qui fait défaut à beaucoup de gens, c’est l’imagination, le courage et la sincérité. Il n’est pas nécessaire d’aller à la fac pour apprécier Extra Life ou pour comprendre la musique. Il faut juste être ouvert à quelque chose de différent et de nouveau.
Dream Seeds a un son différent, plus doux que ses prédécesseurs. Dans quelle mesure les changements de formation ont-ils influé sur cette nouvelle direction?
Je ne crois pas que ces changements aient pesé sur la direction. Il y a plus de parties calmes sur le nouveau disque mais les parties bruyantes sont tout aussi fortes que sur les anciens disques. Caley et Nick aiment jouer fort, donc je ne pense pas que ce soit à cause d’eux s’il y a plus de chansons calmes.
Les paroles de l’album tournent autour des thèmes de l’enfance et des rêves. D’où vous est venue l’inspiration?
D’une série de rêves que j’ai faits impliquant des enfants et de mon métier d’enseignant. Je lisais aussi beaucoup de travaux de Carl Jung, un psychologue suisse et aussi un mystique qui a beaucoup écrit sur la symbolique des rêves. Il dit que tous les rêves sont naturellement conformes à la morale, ce qui est une idée très intéressante. Ces rêves que j’ai faits, même s’ils étaient vraiment effrayants, portaient en eux un sens moral puissant. Ils signifiaient qu’on m’apprenait quelque chose ou qu’on me mettait en garde. Je suis toujours en train de me demander quels étaient précisément ces leçons et ces avertissements.
Vous semblez obsédé par ce qui est enfoui dans le subconscient. Votre travail peut-il se concevoir comme une façon d’explorer le subconscient et de le traduire en musique?
Oui, bien sûr. On peut planifier sa musique avec beaucoup d’attention et de manière très stricte mais elle est toujours régie par des parties de soi enfouies qu’on ne comprend pas vraiment. Faire quoi que ce soit de créatif, c’est un peu comme rêver. Dans l’Antiquité, les gens croyaient que les rêves étaient des messages de l’extérieur, de Dieu. Croire au Subconscient, ce n’est pas si différent mais “l’extérieur” est juste un intérieur enfoui auquel il est difficile d’accéder.
Outre Extra Life, vous travaillez sur un autre projet, qui s’appelle Seaven Teares. Pouvez-vous nous en dire plus?
Seaven Teares est une formation acoustique beaucoup plus calme avec la chanteuse Amirtha Kidambi, le percussionniste Russell Greenberg et le multi-instrumentiste Robbie Lee qui joue les parties de guitare, les instruments à bois et des parties de clavier. La musique a un son beaucoup plus médiéval qu’Extra Life, mais aussi plus simple. Le son est plus proche du folk, avec des parties moins complexes. Les influences sont à chercher du côté de Death in June et Wovenhand, mais aussi dans des trucs des années 60 comme Simon & Garfunkel ou Ian & Sylvia. Beaucoup d’harmonies vocales. Nous n’avons pas joué encore beaucoup de concerts mais nous nous produirons davantage à l’automne. Le premier disque de Seaven Teares sortira vers la fin de l’année. Je ne sais pas si nous viendrons en Europe mais ce serait cool.