J’ai entendu : Music from Saharan Cellphones

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J’ai beau être un mélomane obsessionnel, mes tribulations auditives ne m’avaient jusqu’alors guère porté vers le continent africain. Je n’étais certes pas ignorant au point de penser qu’il n’existât rien en dehors des abominables Magic System. J’avais bien pris une grosse claque il y a quelques années à un concert de Femi Kuti. J’avais écouté d’une oreille plus ou moins attentive Tiken Jah Fakoly, Amadou & Mariam, pris mon pied sur Staff Benda Bilili. J’étais totalement passé à côté de Tinariwen et de bien d’autres choses, je m’en rends compte à présent. Il y a, me semble-t-il, beaucoup à dire sur la façon dont on présente la musique africaine dans les pays occidentaux. Nous avons trop souvent tendance à cantonner les musiciens africains à un folklore, à une tradition, comme si la musique contemporaine du continent noir ne s’inscrivait pas elle aussi dans la modernité, ou était incapable d’avancer avec son temps. Vision ethnocentriste assurément car la manière de faire et de diffuser la musique a évolué en Afrique comme ailleurs avec l’apparition de nouvelles technologies. C’est ce qui rend salutaire le travail de l’ethnomusicologue Chris Kirkley, cofondateur du blog Sahel Sounds, qui a compilé dans Music from Saharan Cellphones, une série de morceaux qui témoignent du dynamisme de la musique actuelle dans les zones désertiques de l’Afrique de l’Ouest.
Je ne sais pas pour vous. Mais moi, j’imaginais que l’Afrique de l’Ouest était une région isolée, globalement coupée de toute technologie. En vérité, rien n’est plus faux. Certes, les populations ne sont pas équipées d’ordinateurs personnels et de connexions Internet haut débit. Ce n’est pas pour autant que la technologie y est totalement absente. Depuis l’apparition de téléphones portables à bas prix fabriqués en Chine, le mobile fait office de centre multimédia. Essentiel dans la vie de tous les jours, il est également devenu un vecteur prioritaire de diffusion de la musique. On enregistre les morceaux sur la carte mémoire du téléphone avant de se les échanger en Bluetooth. C’est ainsi que se transmet la musique dans la région. Et c’est aussi comme ça que Chris Kirkley a pu réunir les morceaux qui composent la compilation. Il s’est rendu à Kidal, au Mali, véritable centre névralgique et culturel entre l’Afrique du Nord et la partie sub-saharienne pour recueillir ces chansons qui témoignent d’une étonnante modernité de la musique africaine. En effet, à l’écoute de Music from Saharan Cellphones, on est loin de l’image folklorique figée dans le temps. Les musiciens africains utilisent aujourd’hui les possibilités que leur offre la technologie pour produire un son en phase avec l’époque. Du blues hypnotique génial de Group Anmattaf au techno-folk bricolé du Nigérien Mdou Moctar, on va de surprise en surprise et d’émerveillement en émerveillement. C’est assurément l’un des trucs les plus intéressants que j’ai écoutés ces derniers temps. A découvrir de toute urgence pour ne pas mourir idiot. Et à acheter sur la page Bandcamp ou en vinyle, d’autant que Chris Kirkley a poussé la démarche jusqu’à rechercher tous les interprètes, auxquels 60% des recettes seront directement reversées. Avouez qu’ils méritent plus votre argent et en feront meilleur usage que, disons, Christophe Maé ou Florent Pagny…

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