Il y a des moments dans la vie où l’on se complaît dans le calme et la douceur et puis, parfois, sans qu’on sache toujours trop bien pourquoi, on éprouve une irrépressible envie d’hurler comme pour exorciser ses démons. Imaginez que votre copine vient de vous larguer, que votre patron vient de vous virer et que, cerise sur le gâteau, vous restez coincé dans les bouchons pendant plus d’une heure, auriez-vous envie que votre lecteur CD continue de vous narguer avec le Best Of de Simon & Garfunkel ou un florilège de chants de Noël? Il y a fort à parier que vous optiez pour quelque chose de sensiblement plus pêchu. Et, là, j’ai ce qu’il vous faut avec Cult of Youth et leur album éponyme. Un disque que je ne recommanderais certainement pas d’offrir à votre grand-mère si vous êtes un peu à la bourre sur les cadeaux de Noël mais, en tout cas, un album difficilement classable qui, après de multiples écoutes, m’a finalement embarqué dans son sillage.
La métaphore maritime n’est pas innocente car, sous certains aspects, les chansons de Cult of Youth ressemblent à des chants de marins irlandais complétement torchés à la Guiness dans quelque pub de bord de mer. D’une certaine manière, leur musique peut être assimilée à du folk mais ceux qui y chercheraient une quelconque ressemblance avec des groupes comme Fleet Foxes feraient un rapide demi-tour en se bouchant les oreilles. Ici, c’est d’une forme primale de folk qu’il s’agit, bien plus proche de l’univers punk que de celui des hippies barbus. Il suffit de voir Sean Ragon marteler sa guitare acoustique en poussant des hurlements de chat échaudé, le tout avec des yeux exorbités, pour s’en convaincre. La force brute de Cult of Youth pourrait devenir rapidement anxiogène si l’énergie sombre de Ragon n’était en quelque sorte équilibrée par les somptueux arrangement de cordes de Christiana Key. C’est un son unique, déstabilisant à la première écoute, mais finalement carrément envoûtant, que propose Cult of Youth.
Initialement projet solo de Sean Ragon, Cult of Youth se voulait une sorte d’alternative face à la rigidité de la contre-culture new-yorkaise. Ce qui explique ce son assez extraordinaire, synthèse de styles musicaux a priori difficilement conciliables. Avec l’addition de musiciens supplémentaires, il semblerait que la furie incantatoire de Ragon soit davantage canalisée. A chaque déferlement vocal succède un moment plus mélodique seulement hanté par la voix sépulcrale et les textes amers de Ragon. Avec cet album et cette nouvelle formation, Ragon semble avoir enfin trouvé l’équilibre qui lui faisait défaut. En laissant tomber son boulot, l’alcool et les drogues, il s’est libéré de ses pesanteurs pour se consacrer à plein temps à la musique. Le résultat: un grand disque à la fois déchirant de sincérité et musicalement très abouti.