Grande voix révélée par la bande originale des Triplettes de Belleville, Betty Bonifassi est en tournée en France pour son album Lomax, vibrant hommage aux chants d’esclaves afro-américains.

Chants d’espoir et de liberté

Au loin, la nuit gagne du terrain. Plus que quelques heures à courber l’échine, pense la jeune fille. Mais ici, même se perdre dans ses pensées lui est interdit. Déjà le maître arrive, sourcils froncés, joues empourprées. La jeune fille baisse les yeux et se remet au travail. Elle repense en silence à toutes les offenses, aux vexations, petites et grandes, patiemment subies. Parce qu’ici, on n’a le droit de rien. Le combat est inégal, elle le sait trop bien. Pourtant, au fond d’elle-même, la colère gronde, le feu crépite. Cette nuit, comme toutes les autres nuits, elle marchera. Ses pieds seront légers. Tandis que les maîtres dormiront d’un sommeil sans rêves, elle rejoindra les autres sous les mangroves. Sa voix s’unira à celles des siens. Ensemble, ils se sentiront forts, les yeux levés vers le ciel. Leurs chants d’espoir résonneront longtemps dans le bayou. Ce que la jeune fille ne sait pas, c’est qu’ils résonnent encore, plusieurs décennies plus tard, à travers la voix de Betty Bonifassi.

Betty Bonifassi, des Triplettes de Belleville aux chants d’esclaves

Betty Bonifassi, vous vous en souvenez peut-être, s’est révélée en interprétant la bande originale du film d’animation Les Triplettes de Belleville. Déjà, on y découvrait une voix puissante et magnétique, derrière laquelle on imaginait une jeune femme au caractère entier, capable de porter d’autres desseins. Ce grand dessein, c’est en 1998 qu’il voit le jour. Alors qu’elle fait une recherche musicale pour la pièce de Steinbeck, “Des souris et des hommes”, la Française, installée à Montréal, découvre les enregistrements de chants d’esclaves d’Alan Lomax et de son père. Pour Betty Bonifassi, ces chants sont une révélation qui tourne presque à l’obsession. Elle décide de donner de la voix pour transmettre la parole étouffée de ces hommes et de ces femmes déracinés et opprimés.

Sorti en France le 20 janvier dernier, l’album Lomax est, selon Betty Bonifassi “un hommage à la force de résilience, à la dignité et à la beauté des esclaves africains déportés en Amérique à des fins de main-d’œuvre. L’Afrique a construit l’Amérique dans sa structure comme dans son art, au prix de son sang. Grâce à M. Lomax, nous avons pu entendre ces chants 100 ans plus tard, afin de ne jamais oublier”.

Lomax, une relecture moderne des prisoners songs

Plus qu’un hommage, c’est une vraie relecture que propose Betty Bonifassi. Son chant intense, allié aux arrangements de Jesse Mc Cormack, confère à ces prisoners songs une étonnante modernité. En 33 minutes, Lomax fait revivre les travailleurs forcés, chantant pour supporter les cadences infernales et les humiliations incessantes de leurs maîtres. Plus largement, c’est un cri d’espoir qui résonne aux oreilles de ceux qui, hier ou aujourd’hui, ici ou ailleurs, combattent l’injustice et l’arbitraire. Enfin, l’album est aussi un condensé d’histoire de la musique. En associant les chants d’esclaves avec des éléments de soul, de funk, de rock ou d’électro, Betty Bonifassi rappelle, s’il en était besoin, que l’histoire des musiques actuelles puise ses racines dans les champs de coton.

Betty Bonifassi en tournée en France

Betty Bonifassi sera bientôt en tournée, partout en France, pour partager ce répertoire à la richesse inégalée. L’occasion, pour tous les bons entendeurs, de (re)découvrir une chanteuse à la voix unique et à la présence magnétique.

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