J’ai entendu : Efterklang – Piramida

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La vie s’apparente parfois à une longue succession de rendez-vous manqués. Je les ai peut-être aperçus il y a une dizaine d’années, au hasard de mes promenades erratiques dans les rues de Copenhague. Jeune étudiant en exil, je franchissais alors régulièrement le pont reliant le sud de la Suède et la capitale danoise. Souvenir, en danois “efterklang”, du temps passé. Peut-être les ai-je frôlés. Peut-être même qu’un soir, aux abords du Nyhavn, nos regards se sont croisés, un court instant. Autre temps, autre lieu. Rendez-vous manqué hier encore. Ce sont eux cette fois qui jouaient sur mon terrain. Cinq minutes à vol d’oiseau. Peut-être même qu’en tendant l’oreille, j’aurais pu les entendre. Mais non, blasé, vanné, crevé, j’étais bien trop occupé à ne rien faire pour y prêter attention. Il y a des jours comme ça où le bonheur est à portée de main mais où tendre la main est un effort insurmontable. On reste sous la couverture, à boire de la tisane, en regardant la neige qui tombe par la fenêtre. En mode économie d’énergie comme l’un de ces appareils ménagers qui, d’une seconde à l’autre, se mettent en veille. Comme un de ces îlots impassibles face au tumulte d’une mer déchaînée. J’étais, absent, débranché, détaché. J’étais un paysage couvert de neige blanche jusqu’à l’infini. J’étais en train de devenir Piramida.

A un peu plus d’une semaine de la fin du monde, le quatrième album d’Efterklang a des airs de cérémonie de clôture. Conçu à Pyramiden, ville-fantôme au cœur de l’océan arctique, désertée de puis la cessation d’activité de l’exploitation minière, Piramida est tout à fait unique dans sa genèse. Les membres du groupe semblent avoir parfaitement capturé l’atmosphère du lieu puisque, outre les enregistrements terrain qui émaillent le disque, il y a aussi ce sentiment persistant d’isolement et de désolation qui parcourt les dix titres de Piramida. Un peu comme si vous vous réveilliez, le lendemain de la fin du monde, et que vous vous rendiez compte que vous êtes le seul survivant. Et qu’en plus, vous n’êtes pas Will Smith. Pour la première fois dans la discographie du groupe danois, la musique laisse la place au silence et à l’espace. Les blancs et les non-dits sont aussi de la musique. L’auditeur a intérêt à savoir lire entre les lignes s’il veut goûter toutes les saveurs de cette escale magistrale. Disque contemplatif, album de fin du monde, du bout du monde, Piramida n’est pas exempt de moments de lumière. Instants fragiles où, soudain, les vastes plaines immaculées s’illuminent. Bonheur précaire où le simple fait de respirer apparaît comme la plus grande des victoires. Et si ce n’était pas la fin, mais simplement le début d’autre chose ? L’aube d’une ère nouvelle. Grandiose.

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