J’ai entendu : King Krule – 6 Feet Beneath The Moon

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Aujourd’hui, il pleut. Un vrai temps de rentrée des classes. Allez, allez les enfants, c’est l’heure. Ça sent les cahiers neufs et les cartables mouillés, la colle Cléopâtre qu’on respire à pleins poumons, l’odeur poivrée des polycopiés à l’encre violette. Le ciel déploie toutes ses nuances de gris. Rideau tiré sur les vacances et les bords de mer insouciants. Ouvrez votre manuel de mathématiques à la page 27. Envolés les plongeons dans l’eau tiède, les parties de cache-cache avec les amis du camping, les glaces vanille-fraise qui coulent et vous font les doigts tout collants. Les plus petits versent des larmes de crocodile. Les grands connaissent déjà cette sensation d’être emmurés vivants, eux et leurs souvenirs récents, jusqu’à la prochaine fois. Grandir, c’est abdiquer. Liberté.. mon cul, comme disait le chanteur, sur un des disques de Papa. Les moutons ont peur des loups, nous apprennent les livres pour enfants. Transformons les petits loups en moutons dociles, dit l’école. Grandir, c’est renoncer. Liberté… mon cul ! Soyez raisonnables. Soustrayez, divisez. Grandir, c’est rapetisser, diminuer jour après jour son champ des possibles. Les artistes sont ceux qui résistent à ce ratissage, qui savent déceler autour d’eux la beauté que les autres ne voient plus, qui n’ont pas encore renoncé à décrocher la lune. La lune ou presque, c’est ce qu’une hype grandissante promettait depuis des mois à Archie Marshall, alias King Krule. Son premier album se satellise six pieds en dessous de l’astre. Ce n’est déjà pas si mal.

Pour ceux d’entre vous qui, du fond de leur grotte, privés de tous outils d’information et de communication modernes, n’auraient encore jamais entendu parler de King Krule, sachez que ce jeune homme, qui fêtait avant-hier ses 19 ans, est, depuis 3 ans, l’objet d’une hype considérable. A première vue, pas grand-chose ne le distingue des autres gamins de son âge. Cheveux roux, dégaine bancale d’adolescent qui aurait grandi trop vite, le garçon ne paie pas de mine. Le profil parfait pour intégrer le casting de Skins. Pourtant, ce n’est pas à la télévision mais bien dans la musique que s’illustre King Krule. Et, pour cause ! Dès qu’il ouvre la bouche, le gamin dégingandé s’efface pour laisser place à un homme à la maturité assumée, à la voix tonitruante et rocailleuse. Le contraste entre ce teenager d’apparence banale et cette voix venue des entrailles de la rue est saisissant. A se demander si Archie Marshall ne l’a pas piquée à quelqu’un d’autre d’autre ou s’il n’a pas conclu un pacte avec le diable. Car King Krule ne chante pas vraiment. Il grogne, râle, éructe. Les sons qu’il émet sont soit l’œuvre d’un sortilège puissant soit le résultat d’une addiction précoce au tabac et au whiskey. Dans tous les cas, c’est surnaturel. Il pourrait être crooner de charme pour mémères empapaoutées, chauffeur de salle pour foules en révolte, rappeur énervé pour rues en colère, vendeur à la criée ou cracheur de feu. Il est un peu tout ça à la fois. Il la joue cool, le plus souvent, laissant les syllabes s’étirer nonchalamment, comme au lever du lit, sur des beats lancinants. Has this Hit ? La question est posée à la piste 3. Oui, Archie, ça tape en plein dans le mille. La faute à cette voix prodigieuse mais aussi à l’érudition musicale du gamin qui slalome joyeusement entre les frontières stylistiques. Ami vieux con (je m’inclus dans cette catégorie), ami jeune branleur, 6 Feet Beneath The Moon est un disque majeur. Et King Krule, à n’en pas douter, une voix emblématique de la génération Z.

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