Quand on vit de ce côté-ci de la planète, à cette période de l’année, ce qui serait étonnant, c’est de ne pas avoir des envies d’ailleurs. Si on pouvait se barrer loin du froid, de la crève, des gens qui font la gueule, des collègues qui ne ferment pas les portes, des rues grises et des crottes de chien. Aller simple pour le soleil, la fête, l’insouciance. Ne pas se soucier des conséquences. Prendre la route, claquer la porte et s’évader. Adolescent, j’avais été très impressionné par On the Road, le roman de Jack Kerouac. Mais je n’ai pas la force de m’en aller comme ça. Et si je m’évade ce n’est qu’en musique ou en littérature, ce qui est déjà mieux que rien. Quel temps fait-il aujourd’hui en Californie? Je n’en sais rien mais plus chaud qu’ici, c’est sûr. Et puis prendre la route pour une tournée avec les Growlers, ça doit quand même sacrément trippant.
Trippant, c’est bien le mot adéquat. Peu de chances, en effet, que ces zigotos-là carburent à l’eau claire. Et d’ailleurs, on s’en branle car ils n’ont jamais eu envie de finir en photo-souvenir sur le frigo de ta belle-mère. Etre le meilleur groupe indé de la planète sans en avoir rien à foutre, c’est quand même carrément la classe. Etre bourré, c’est quand même bien plus drôle et puis, sur la route, on fait des rencontres, on fait les cons et, mine de rien, on écrit des putains de chanson. Leur disque Hot Tropics, en 2010, m’avait laissé sur le cul. Je ne m’en étais jamais vraiment rétabli. Et voilà qu’ils remettent ça ces jours-ci avec l’excellent Hung at Heart, chef-d’oeuvre de smoothitude jmenfoutiste. On imagine bien que ce qui préoccupe les Growlers, c’est plus le sexe, le surf, les drogues et les délires mystiques que la notoriété. Etre célèbres, ils s’en tamponnent à peu près autant que de la date de voter première communion. Ils ne seront donc jamais connus à la hauteur de leur talent mais ceux qui savent ce genre de choses le savent bien : les Growlers sont les branleurs les plus doués de l’histoire du rock. Les seuls mecs, aussi, assez barrés pour travailler avec Dan Auerbach (des Black Keys) et finalement décider de tout refaire à leur sauce. C’est pour ça qu’on les aime. Et Hung at Heart avec ses ritournelles joyeusement psyché chantées d’une voix éraillée de vagabond, fait mouche à tous les coups. Le plus grand groupe, on vous dit !