Photo : Barthélémy Vielle

La vie est une succession de montagnes russes charriant des émotions contradictoires. Un jour, on touche du doigt les étoiles et, le lendemain, on mord la poussière. Entre les deux, il n’y a parfois qu’un fil ténu, presque invisible, qu’on a vite fait de franchir. “La peur est le chemin du côté obscur. La peur mène à la colère, la colère mène à la haine, la haine mène à la souffrance”. Il y a quelques mois, par une matinée pluvieuse de novembre, j’ai laissé l’obscurité m’envahir. Par lâcheté, par peur aussi sans doute. Fatigué de faire le grand écart entre mes envies et mes obligations, j’ai tiré le frein à main et allumé les feux de détresse. Je n’ai jamais atteint Besançon. Sur la route détrempée, j’ai pris la première sortie qui s’offrait à moi et j’ai fait demi-tour. Je ne savais même plus si c’était la pluie battante ou l’humidité dans mes yeux qui m’aveuglait, rendant encore plus périlleux le chemin du retour. Et malgré ça, j’enfonçais l’accélérateur. Je voulais me mettre en danger, me sentir vivant. Je suis rentré, je me suis terré chez moi une journée entière, enfoncé sous une couverture, le téléphone éteint. Et puis, le lendemain, je suis reparti comme si de rien n’était, ou presque. La noirceur était toujours là, enfouie, immergée, mais invisible à l’œil nu. Noir Cœur, c’est cette obscurité latente qui sommeille en chacun de nous mais qu’on ne voit pas toujours. Si l’on se figure le cœur comme une chambre noire à travers laquelle nos émotions se projettent en couleur, alors le nom du duo toulousain prend tout son sens.

Noyées sous un flot obsédant de claviers et de percussions, les tensions s’apaisent. De cette toile sonore méticuleusement tissée émergent des voix androgynes qui se répondent ou s’entrelacent. Noir Cœur dessine des paysages tropicaux sophistiqués et envoûtants, des méandres dans lesquels on aspire à se perdre. Hybride, au confluent de la pop et de l’électro, entre nonchalance et sensualité, leur musique réclame qu’on s’y abandonne complétement. On se laissera alors happer par les ambiances mouvantes et vaporeuses savamment distillées par les deux compères. Atteindra-t-on le Total Nirvana promis par le titre qui les a fait connaître ? C’est plus que probable. En tout cas, c’est un sentiment d’harmonie qui prédomine à l’écoute de Noir Cœur. Harmonie et complémentarité entre les deux membres du groupe mais aussi harmonie entre leur univers et le roulis du monde, comme si ces deux-là, en visant l’intime, avaient enclenché des mécanismes universels. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si l’identité visuelle du groupe, particulièrement recherchée, est empreinte d’un certain mysticisme. Philippe et Adrien apparaissent comme les ordonnateurs d’une grand-messe ésotérique et sensuelle à laquelle ils nous convient. Planant, halluciné, ce voyage en leur compagnie ne fait que commencer car le prochain EP, prévu avant l’été, pourrait bien les emmener – et nous avec – haut, très haut !