Hopla Geiss – Ep.5 : Crocodiles (Inc.)

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Samedi soir, Paris, Carrousel du Louvre, remise des diplômes de l’école qui m’emploie. Costards-cravates, robes de soirée, discours interminables, photos souvenirs, accolades, poignées de main, champagne, petits fours. Tout va pour le mieux dans la joie, le faste, la bonne humeur et l’ostentation. Que les parents se rassurent, ils en auront pour leur argent. Les petits oisillons peuvent maintenant quitter le nid et voler de leurs propres ailes. Mission accomplie. Dans quelques heures, les robes de soirée virevolteront, dévoilant des dessous affriolants. Les cravates dénouées trouveront refuge autour de têtes rougeaudes et avinées. Mais, pour le moment, soyons solennels, l’heure est trop grave, l’instant trop important pour tomber dans la trivialité. Berçons nous d’auto-satisfaction. Hier, vous n’étiez rien, damoiselles, damoiseaux, ou, en tout cas, bien peu de chose,  et voilà qu’aujourd’hui, grâce à notre modeste contribution, vous êtes les nouvelles forces vives des entreprises de demain. Alléluia. Mission accomplie. Et n’oubliez jamais que chez nous, vous êtes chez vous. Mais surtout, comme le rappelle avec sa bonhommie naturelle l’un de nos brillants dirigeants, n’oubliez pas que Strasbourg, c’est l’Allemagne puisque, nous dit-il sans sourciller, notre équipe de foot, qui, soit dit en passant, a déjà assez de problèmes comme ça, jouera bientôt en Bundesliga. Si c’est de l’humour, ce n’est pas drôle. Si ce n’en est pas, c’est encore pire. Parisianisme de bas étage, mépris indigne de votre rang, méconnaissance historique et sociologique. La frontière n’a pas bougé d’un iota, les jeunes strasbourgeois n’arborent pas de T-shirt à l’effigie d’Angela Merkel ni n’écoutent de la rumpapa dans leurs lecteurs MP3. Nos groupes de rock se nourrissent essentiellement d’influences anglo-saxonnes. En témoignent nos Crocodiles qui, s’ils n’étaient partis trop tôt sur les bords du Nil, auraient bien pu faire de l’ombre aux Crocodiles de San Diego.
Les Crocodiles alsaciens se sont mordus la queue et ont splitté après la sortie de leur album, Generalized Suspicion of Experts. Et c’est bien dommage parce qu’on tenait là une formation capable de rivaliser avec ses lointains cousins anglo-saxons, The Editors ou Interpol qui, au même moment, sous d’autres cieux, remettaient au goût du jour la new-wave et le post-punk. Fondés en 2005 par Adrien Moerlen, fils du batteur de Gong, et Benjamin Voituriez, les Crocodiles, baptisés ainsi en hommage au titre d’un album d’Echo & the Bunnymen, connaissent une ascension rapide et fulgurante. Bientôt rejoints par d’autres musiciens, ils multiplient les concerts, prennent de l’assurance et sortent en 2007 un premier album autoproduit Evolution, puis en 2008 Project White. Chant charismatique, puissance rythmique démentielle, guitares anguleuses, les Crocodiles balancent la queue entre cold-wave glaciale et brûlots post-punk. Une énergie démesurée qui finira par les consumer puisque la sortie de leur troisième essai marquera aussi la fin de l’aventure, nous laissant avec ce qui est probablement à ce jour le meilleur album de rock jamais sorti par un groupe alsacien. Disque survolté qui enchaînent crochets, directs, et uppercuts sans jamais laisser à l’auditeur le temps de reprendre sa respiration, Generalized Suspicion of Experts est le testament mordant du talent incandescent des Crocodiles. La voix chaude et intense d’Adrien Moerlen s’entremêle avec celle d’Anne Ahlers, les riffs de guitare d’une rare efficacité vous happent et ne vous lâchent plus, les rythmiques ravageuses enfoncent le clou. Bref, une énorme claque avant de tirer leur révérence. En concluant l’album par le prophétique It’s a good day to die, les Crocodiles bouclaient la boucle alors que leurs fans, médusés, se mordaient les doigts à l’idée de perdre un groupe aussi précieux. Ce qu’ils sont devenus? Ce sera peut-être l’objet d’une prochaine chronique…

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