J’ai entendu : Fauve

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« J’ai dormi dans un lit avec une couette, un édredon, un oreiller. A 8 heures du matin, pas 7, pas 9, mon réveil a sonné. Alors, je m’suis levé, j’ai pris un café au lait dans une tasse bleue avec marqué dessus « Maman, Je t’aime ». A l’intérieur, y avait encore des traces de yaourt ou de fromage blanc 0%. La faute à ce putain d’lave-vaisselle qui a coûté une blinde et qui a jamais marché. Dans mon café, j’ai mis du lait demi-écrémé. C’est moins gras et c’est meilleur pour la santé. Enfin, c’est c’que dit mon méd’cin qui a des cheveux blancs et des poils sur les bras. Moi, j’ai pas de poils, parce que c’matin, je m’suis épilé avec un rasoir bic orange que j’ai piqué à mon grand frère dans la salle de bain. Ça m’a fait mal parce que j’avais pas d’mousse et la lame à sec, ça irrite la peau. C’est pour ça qu’on vend d’la mousse dans les supermarchés. Mais faut souffrir pour être beau. Et comme ça, j’peux continuer à écrire des chansons sur la jeunesse et comment c’est dur d’être jeune en 2013. En m’rasant, une fois, je m’suis coupé, j’ai saigné, j’me suis soigné mais, merde, j’ai fait une rime sans l’faire exprès, ça va niquer tout mon couplet. Faut surtout pas qu’ma chanson ait l’air intelligente ou travaillée. Faut pas qu’j’écrive avec ma tête, sinon ça va la faire exploser. Moi, ce que j’kiffe, c’est penser avec mes pieds,  me lancer dans des phrases de deux kilomètres qui veulent rien dire, et qui valent pas mieux qu’une rédaction d’élève de lycée. Au début, j’avais pas d’nom et, au-d’là d’deux syllabes, c’est un peu compliqué. Alors, j’ai choisi Fauve parce que c’est court et puis j’avais vu les Nuits Fauves que j’avais loué au video-store du quartier. Y a un mec qui  m’casse les couilles parce qu’on a l’même blaze et il dit que j’lui ai piqué. Il vient de Suisse, comme les p’tits suisses et, les pt’its suisses, c’est bon pour le p’tit déj, surtout les jours où y a plus d’lait pour mettre dans l’café. Mais j’peux pas changer d’nom, j’ai pas d’autre idée et les Inrocks m’ont déjà cité. Putain, j’ai trop d’trucs à dire, j’ai failli oublier de respirer. Mais si j’respire pas, je meurs et ce s’ra la fin d’ma chanson… et blablabla et blablabla… ». Bref, j’ai écrit une chanson de Fauve. 6 minutes 33 secondes. Qui dit mieux ? Heureusement, pour ceux qui n’aiment pas Fauve, il y a Fauve !

Fauve – le vrai, pas les usurpateurs – est un artiste suisse, qui semble goûter davantage l’apaisante solitude que l’hystérie collective. Chez lui, nul besoin d’arborer en grand le symbole de la différence – qui plus est, au plus fort du débat sur le mariage pour tous – c’est avec sa musique que Fauve se singularise. Loin des insupportables gribouillis des autres, Nicolas dessine de grands espaces et des constructions sophistiquées. Sa musique, exigeante et élaborée, est le fruit de l’isolement et d’un travail d’orfèvre. C’est le résultat d’une esthétique savamment réfléchie, d’un édifice patiemment érigé, de petites touches de couleurs harmonieusement assemblées. L’histoire commence en 2003-2004, quand Nicolas Julliard s’exile à Paris pour y enregistrer son premier album. Entièrement composé, joué, chanté, arrangé, enregistré et mixé par lui seul, ce premier disque éponyme fait son bonhomme de chemin et tombe entre les oreilles avisées de Dominique A qui invite Nicolas à participer à une carte-blanche. S’ensuit cinq années où Fauve multiplie les collaborations. Puis, fin 2011, le musicien genevois sort son nouvel album Clocks ‘n’ Clouds, un disque assez peu médiatisé qui était sans doute voué à terminer dans vingt ans dans des compilations de trésors cachés. Mais, il faut croire qu’à quelque chose malheur est bon car, sans les regrettables Fauve, je n’aurais peut-être pas croisé la route du remarquable Fauve. Et, en ne découvrant pas ce chef-d’œuvre d’élégance pop-folk, cet eldorado perdu entre Radiohead et Sufjan Stevens, alors, sans que j’en aie conscience, ma vie en aurait été sérieusement amputée. Pour un homme seul, cet album est d’une force et d’une ambition démesurées. Au bout d’un ou deux titres, on est déjà loin, sur un nuage et on se demande au bout de combien de temps on va redescendre. Le plus beau, c’est que ça n’arrive jamais. Aucun morceau n’est plus faible ou moins désirable que le précédent. Clocks ‘n’ Clouds est, de bout en bout, une merveille, un rêve éveillé. Et, à mes yeux, ce Fauve-là est le seul qui mérite un engouement extravagant.

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