Je n’ai jamais foutu les pieds en Islande et c’est bien regrettable. Parce que non seulement le pays recèle des fjords et des geysers d’une beauté spectaculaire mais aussi, semble-t-il, la plus grande densité de musiciens talentueux de la planète. Parmi eux, les enchanteurs de Sigur Ros sont sans doute l’une des figures les plus emblématiques de la terre de glace. Un groupe qui a bercé mon adolescence, que j’ai vu en concert à Arras, dans ma région natale, le même soir que Radiohead, et qui m’avait mis une claque monumentale. Un groupe que j’ai toujours suivi de très près ou d’un peu plus loin, qui ne m’a jamais vraiment déçu mais qui, malgré tout, commençait, sur les derniers albums, à tourner un peu en rond. Je crois qu’avec eux, j’ai déjà 10000 fois traversé les étendues glacées de l’île. A chaque fois, c’était beau, magique, tout blanc, troublant, j’en avais les larmes aux yeux et des rêves d’évasion plein la tête. Mais, depuis quelques temps, on sentait que Sigur Ros était dans sa zone de confort, faisant toujours merveilleusement bien ce qu’ils savent faire sans réussir à nous emmener ailleurs que vers les terres promises déjà atteintes en leur compagnie. Ça, c’était avant d’écouter Kveikur.
Car si une part importante de la discographie des Islandais évoque de vastes plaines balayées de vents glaciaux, Kveikur est composé d’un certain nombre de titres dont l’écoute évoque plutôt le jaillissement bouillonnant des geysers. A défaut d’un changement de cap complet, ce nouvel album, qui sortira officiellement la semaine prochaine, marque une évolution sensible et bienvenue de leur univers. L’entrée en matière martiale de Brennisteinn montre déjà l’envie des Islandais de muscler leur jeu et d’en découdre avec de nouveaux horizons. Moins contemplatif, plus rentre-dedans, Kveikur montre une facette encore peu explorée de Sigur Ros. L’intrusion d’un sentiment d’urgence dans leurs somptueuses lamentations donne à l’ensemble un côté plus rugueux, plus dangereux aussi. On pourra sans doute regretter que le groupe ne pousse pas le vice jusqu’à imprégner tous les titres de cette même essence. Il s’en serait alors fallu de peu pour que Kveikur ne devienne, toutes proportions gardées, le Kid A de Sigur Ros. Certes, la mue des Islandais est moins spectaculaire que celle, en son temps, des Britanniques. Mais, malgré tout, un morceau comme Kveikur, le titre éponyme du disque, avec ses ambiances anxiogènes, n’a pas fini de secouer dans tous les sens les fans de la première heure et de rappeler à eux les brebis égarées. Une prise de risque que j’aurais aimée encore plus totale, mais ne faisons pas la fine bouche car ce disque frôle à un ou deux titres près la perfection et s’annonce comme d’ores et déjà comme l’un des albums majeurs de l’année 2013.