J’ai entendu : Half Moon Run – Dark Eyes

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Il y a des moments où, pris dans le tourbillon des nouveautés musicales, j’éprouve les plus grandes difficultés à rejoindre le rivage et à immobiliser le temps quelques instants, juste ce qu’il faudrait pour recouvrer mes esprits avant d’aller de nouveau de l’avant. Je dissémine derrière moi des trésors, des souvenirs que je ne retrouverai qu’une fois le fleuve apaisé, en remontant le courant à la nage. Plaisir de la redécouverte parfois encore plus beau que la rencontre initiale. Vous aviez coché un artiste ou un album sur votre liste de choses à chroniquer puis vous l’aviez laissé là, dans un coin. Et voilà que soudain, sous la fine couche de poussière entre-temps accumulée, vous êtes ébloui par l’éclat scintillant de ce diamant brut que vous aviez traité avec un peu trop de désinvolture. Alors au risque d’arriver après la bataille et sans avoir l’effronterie de prétendre le contraire, vous reconnaissez humblement avoir été devancé sur ce point précis par des collègues plus diligents, mieux organisés ou plus forts en nombre. Half Moon Run n’est certes plus un groupe que les autres écouteront dans un an mais ce n’est pas non plus un groupe à passer sous silence. Il y a là matière à s’extasier, alors extasions-nous.
Trio âgé de 21 à 25 ans et basé à Montréal, Half Moon Run est incontestablement pétri de talent. Même si elles sont sans doute très précoces et de nature à mettre une pression énorme sur leurs jeunes épaules, les comparaisons avec Radiohead sont loin d’être injustifiées. Les Britanniques constituent une évidente source d’inspiration comme c’est d’ailleurs le cas pour une bonne partie de la scène indépendante actuelle. Half Moon Run s’engouffre avec délices dans la brèche ouverte par ses aînés et reprend à son compte une réelle volonté d’expérimentation, un travail abouti sur les textures et une propension à intégrer des éléments électro dans des compositions largement organiques. D’un autre côté, la musique de Half Moon Run est aussi très marquée par l’influence de l’indie-folk américain notamment au niveau du travail sur les harmonies. Et c’est cette fusion d’influences multiples qui lui permet de se démarquer et d’offrir une oeuvre véritablement originale. Et puis il y a la voix cristalline de Devon Porteljie qui, sans rappeler directement Thom Yorke, porte également une signature propre et immédiatement reconnaissable. Porteljie qui, physiquement, ressemble à s’y méprendre à un jeune Leonardo DiCaprio, chante comme une demi-dieu. De sa voix émane  une expressivité et une théâtralité hors du commun. Dark Eyes, pour un premier album, est remarquablement construit, enchaînant les pépites, prenant quand il le faut le temps de la respiration comme c’est le cas avec le bouleversant Need It qui vient caresser les oreilles juste après l’intense She Wants to Know. Un enchaînement qui résume bien l’ensemble de l’album et qui illustre bien la complexité réconfortante qui s’en dégage. Un excellent disque qui dévoile une formation au talent immense et parfaitement maîtrisé. Les Canadiens ont d’ailleurs déjà séduit un large public aussi bien sur le continent américain qu’en Europe. Ne leur reste plus qu’à confirmer qu’ils sont capables de tenir sur la durée. Si tel est le cas, ils atteindront très vite les sommets.

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