Ami lecteur, le weekend dernier – enfin, celui d’avant, pour être tout à fait exact – je suis allé au zoo. Ah, je sais bien, je te vois, de l’autre côté de l’écran, soupirant, en train de te demander combien de temps je vais encore te casser les noix avec ma vie qui n’intéresse que moi. Tu as bien raison. Rien ne te sera épargné. A ta place, je passerais directement au second paragraphe plutôt que de perdre mon temps à lire mes bêtises. Enfin, fais comme bon te semble, tu es libre, toi. Pas comme ces animaux sauvages, exilés loin de chez eux, bêtes de foire données en spectacle aux imbéciles qui se pavanent devant eux. Ils nous regardent fiers, dédaigneux ou, au contraire, assoupis, indolents, indifférents à notre petit manège, pauvres petits cons que nous sommes. Tu peux juger, ami lecteur, que cette chronique animalière n’a ni queue ni tête, que ce n’est qu’un tissu d’âneries. Ou bien tu peux te demander avec moi pourquoi l’histoire du rock est si riche en références animales. Des scarabées, des loups en parade ou en bois, des chevaux fous ou sans nom, des singes arctiques et des partis au paradis, des ours plus ou moins bien léchés, des aigles, des chats sauvages ou errants. Et puis maintenant, des jaguars. Allez savoir pourquoi mais, entre Jagwar Ma, dont on parlera bientôt, et Jaguars, dont on parlera dans le deuxième paragraphe, c’est l’animal à la mode.
C’est beau, un jaguar. Massif, robuste, le pelage tacheté, il en a l’air d’en avoir rien à cirer de votre cirque et, d’un coup, il pourrait vous bondir dessus et vous arracher la tête d’un coup de mâchoires. La musique de Jaguars, c’est un peu la même chose. A feindre l’indolence pour mieux vous sauter à la gorge, à lacérer le silence de leurs riffs acérés ou lancinants, à trouver l’équilibre parfait entre agilité et puissance, on comprend mieux pourquoi les Normands ont choisi cette identité féline. Avec ses rythmiques exaltantes, son agressivité tantôt rentrée, tantôt explosive, Lockness, leur premier EP, est un monstre polymorphe qui guette sa proie pour lui manger le cerveau. Au bout de quelques écoutes, impossible de s’en relever. A peine a-t-on le temps de goûter à l’ivresse des grands espaces que l’on se retrouve cerné, encerclé, pris au piège dans des espaces plus exigus. Le rythme s’accélère, l’air se raréfie, on commence à suffoquer puis, de nouveau, l’étreinte se desserre et on se remet à respirer sans difficulté. C’est ce va-et-vient incessant entre immensité et enfermement qui rend l’univers des Caennais tellement addictif. Lockness est tourné à la fois vers l’extérieur et vers l’intérieur, il s’adresse aussi bien au corps qu’à l’esprit. Mêlant énergie rock et inspirations psychédéliques, il incite autant au mouvement qu’à la pensée. Quand des prédateurs atteignent un tel niveau de maîtrise, autant se laisser prendre. Et admirer, captif mais heureux, ceux qui vous ont cloué sur place.