“Bonne année, bonne santé”. En ce mois de janvier, comme au précédent d’ailleurs, c’est à qui trouvera la formule la plus creuse pour transmettre ses bons voeux. “Puisque c’est encore la saison…” Et que je vous embrasse sur les deux joues. “La santé, surtout… c’est important, la santé !” Avec la grippe qui traîne, on n’est jamais trop prudent. Les moins imaginatifs interrogent : “Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter?”. Du bonheur, ça ne mange pas de pain. Et puis de la réussite. En amour. En affaires. Que tous vos souhaits se réalisent? Ça va être un sacré bordel, c’est moi qui vous le dis. Vivement février. C’est long, janvier, et il fait froid et puis cette toux qui n’en finit plus… La santé, qu’ils disaient tous ! Et pas un, pas un seul pour vous souhaiter une année pleine de poésie. Une année de mots bien choisis, agréablement disposés les uns à la suite des autres, avec un sens aigu de la rythmique. Des farandoles de sons et de sens, un bel oxymore au gré d’un alexandrin, un peu de grâce et de pureté gratuites, distillées avec élégance. Un lever de soleil, un petit bonheur magnifié, un visage familier et souriant que l’on retrouve avec une joie enfantine au détour d’une phrase, au hasard d’une strophe. Dans un monde où elle fait souvent défaut, retrouver le goût de la poésie est de la plus haute importance. Je déclare l’état d’urgence. Il faut enchanter, réenchanter et chanter le monde. Remplacer les hommes d’affaires grisâtres qui président à nos destinées arbitraires par ceux dont la parole exprime la vraie valeur des choses. Pardonnez-moi si je m’emballe. C’est qu’il y a du boulot. Enlisés dans la médiocrité institutionnalisée, TFunifiés et bénabarisés, nous serons bientôt incapables de percevoir la beauté. Et pourtant, parfois, au beau milieu de ce marasme, la lumière jaillit.

Demain de nuits de jours est un véritable miracle. Une œuvre d’une force et d’une sensibilité peu communes. Jean-Louis Bergère est un poète, un amoureux des mots ; la seule lecture des textes suffit à s’en convaincre. A l’exception peut-être d’un autre Jean-Louis (Murat), il y a bien longtemps que, dans ce magma informe qu’on appelle, “chanson française”, la langue française n’avait été traitée avec tant d’égards et de finesse. La beauté jaillit de tous côtés : d’un lac, où se baignent des enfants, de la Cordillière des Andes, d’un chemin côtier. La mélancolie, l’absence, la mort s’expriment ici sans le moindre sentiment de pesanteur. Chaque mot semble avoir été pesé, mesuré, posé à sa juste place, là où exactement il fait sens. Autour de la chanson Dans mes bras, qui évoque la perte de son père, Jean-Louis Bergère s’est nourri du thème de la disparition au sens large pour construire un album extrêmement cohérent. Car Demain de nuits de jours est aussi un disque extrêmement abouti d’un point de vue musical. Tantôt intimistes, tantôt plus électriques, les compositions viennent sublimer la délicatesse et la profondeur des mots. Là où certains, à sa place, se seraient contentés de poser des textes sur des musiques plus ou moins bâclées, Jean-Louis Bergère fait preuve d’une exigence et d’une intégrité sans faille. Et ses prises de risques se révèlent payantes. L’apparition d’un ténor au beau milieu du morceau-titre, pour incongrue qu’elle paraisse, apporte encore un supplément d’âme qui rend cette chanson inoubliable. Dans un monde qui tournerait rond, ça suffirait à faire de Jean-Louis Bergère un artiste incontournable. Malheureusement pour lui, Jean-Louis Bergère n’est accessible qu’à ceux qui savent entendre et pas à ceux qui se contentent d’écouter d’une oreille distraite. Le meilleur hommage qu’on puisse lui rendre, c’est de se fermer à toute activité parasite et de s’imprégner jusqu’à l’ivresse de ses chansons. Vertiges de l’amour ! Ce n’est pas si souvent que la musique procure de telles sensations. C’est un miracle. Puisque je vous le dis…