J’ai interviewé : James Irwin

Browse By

James Irwin est l’auteur de l’un des plus beaux albums de l’année 2012 (cf J’ai entendu : James Irwin – Western Transport). (Presque) inconnu en France, où les médias musicaux traditionnels ne savent pas où laisser traîner leurs oreilles, il est pourtant un remarquable poète de la mélancolie moderne. Nous sommes allés à la rencontre de ce garçon formidable…

Ton album n’a fait l’objet d’aucune critique en France à ce jour (à part la mienne, et c’est bien triste), donc j’ai bien peur que personne n’ait entendu parler de toi ici. Comment te présenterais-tu, toi et ta musique ?

Ce n’est pas vrai. Mes amis Anne, Alexandre, André et Nora à Paris me connaissent. Et ma colocataire Noélie est française. Je rigole. Je voudrais dire : « Salut la France ! Je rencontre souvent des français à Montréal. Il semble qu’on habite presque dans le même pays au Québec. » Un ami à moi m’a dit que ma musique ressemble à celle de Bertrand Belin, ce qui n’est qu’un petit peu vrai. Je dis que ma musique est « sans ironie depuis 2003 ». Je suppose que vous avez le même problème avec l’ironie chez vous.
Quels sont tes premiers souvenirs musicaux ?
Ma grand-mère avait un orgue dans son sous-sol avec les notes collées sur les touches et un livre de chants de Noël. Je me souviens avoir appris Silent Night en buvant du Coca-Cola. Mon frère et moi avions l’habitude de descendre pour nous battre ou jouer au crokinole et je me rappelle avoir pensé que l’orgue était la chose la plus cool qui soit. Je devais avoir à peu près 6 ans. C’est marrant parce que, à part ça, je ne me rappelle rien qui ait trait à la musique avant Colour Me Badd et le rappeur Snow quand j’avais 11 ans. Je chantais toujours Informer quand j’étais à l’école. L’année suivante, j’ai fait un play-back sur The White Stuff de Weird Al Yankovic pour la soirée des talents. C’était un grand succès chez les gamins de 12 ans et nous l’avons refait à la danse de l’école et à la soirée des talents de l’année d’après.

Avant de sortir cet album, tu jouais dans un groupe depuis un moment. Qu’est-ce qui t’a incité à lancer un projet solo ?

Je passe mon temps à écrire des chansons et il est peu probable que je me sépare de moi-même. Les groupes dont j’ai fait partie ont émergé de ça et ont suivi leur cours. L’album solo est arrivé parce que le groupe s’est dissous. Jusque là, mon expérience consistait surtout à jouer des chansons folk dans des appartements ou dans des lofts et j’avais toujours mis l’accent sur la qualité des morceaux donc c’était naturel de faire un album solo. C’est vraiment une activité à temps plein pour moi. J’ai appris aujourd’hui que Garth Brooks avait un alter ego, Chris Gaines, aussi bizarre que lui, qui était une rock-star avec de l’eye-liner et une coiffure de gothique. J’ai toujours pensé à  avoir une autre moi fictif, donc peut-être que c’est là que se trouve mon inspiration.
Les conditions idéales pour écouter ta musique, ce serait plutôt seul et allongé sur un lit. Dirais-tu que tu fais de la musique pour les solitaires ?
Je dirais que c’est de la musique pour des gens qui sont seuls mais pas nécessairement solitaires. J’aime être seul et je suis plus heureux avec les gens quand je me trouve seul à seul avec eux. C’est comme ça que tu peux lancer des sujets difficiles, avoir des interactions avec d’autres personnes sur des choses sensées. J’ai toujours été mal à l’aise avec les petits bavardages et les conversations de groupe qui ont tendance à rester trop longtemps à la surface. Ça incite les gens à adopter des postures. La musique que je préfère, c’est celle qui ressemble à une interaction entre deux personnes et il est clair que c’est la façon dont j’ai conçu cet album.

D’ailleurs, tu as remporté le J’ai tout lu, tout vu, tout bu… Award de l’Album mélancolique de l’Année. Qu’est-ce que ça t’inspire ?
Je suis touché. Je préfère tes catégories à celle qu’on trouve dans la plupart des listes. A mon avis, il est probable que beaucoup de gens trouvent les catégories par humeur plus utiles que les genres pour décrire ce qu’ils ont envie d’écouter à un moment donné. Peandant les années au cours desquelles j’écrivais cet album, les musiques que j’écoutais et qui me procuraient des émotions étaient toutes mélancoliques mais de genres différents, donc je dirais que c’est très pertinent. Les chansons me paraissent meilleures quand elles permettent d’évacuer quelque chose de douloureux. Autrement, elles n’ont pas beaucoup d’utilité pour moi. Ce que j’ai à donner, c’est de la mélancolie. Je suis tout à fait à l’aise avec ça.

J’ai aussi été très impressionné par tes textes qui sont remarquables. Tu parles de toi mais tes mots deviennent toujours universels. Est-ce que c’est quelque chose que tu travailles particulièrement ?
Au final, je crois que les paroles sont surtout pertinentes pour celui qui les chante. Tout le monde n’écoute pas les mots mais chacun comprend ce qu’ils signifient pour le chanteur à la façon dont il les chante, de la même façon que l’intonation et les expressions animent nos voix parlées. C’est la raison pour laquelle j’ai intégré dans mes chansons des questions personnelles et sensibles, pour la façon dont elles affectent le chant. C’est un moyen pour moi d’atteindre ma notion du succès au-delà de la simple et immédiate validation par le public. Je crois que les gens se raccrochent à ça et ensuite ils croient les mots et, une fois qu’ils les croient,  les mots deviennent bien écrits.


Dirais-tu de ta musique qu’elle est un moyen de retranscrire la mélancolie occidentale moderne ?

Hmm. La façon cool de répondre à cette question, ce serait de dire que je ne pense pas vraiment à ça. Je pourrais faire comme si je n’avais jamais pris de cours d’écriture créative ou comme si je me fichais éperdument de ce que j’écris. Mais le fait est que certaines de ces chansons ont des objectifs très spécifiques  quant à ce qu’elles veulent décrire. A peu près la moitié ont été écrites spontanément et l’autre moitié a été chouchoutée jusqu’à ce qu’il en sorte quelque chose qui entre en résonance avec une idée que je voulais exprimer. 
Toutes ces chansons évoquent des sujets par lesquels je me suis vraiment senti hanté et paralysé et sur lesquels j’ai travaillé avec l’idée d’exprimer que les façons dont j’ai ressenti ces émotions étaient symptomatiques des problèmes rencontrés par chacun.
Mon but avec cet album, c’était vraiment de faire face à mon identité culturelle. J’ai honte d’une large part de l’histoire occidentale et je pense que c’est presque universel pour cette génération. C’est la façon dont l’histoire nous a été enseignée. Ecrire une chanson implique aussi d’assumer une identité culturelle que je trouve très troublante. Je suis à la fois respectueux et irrespectueux envers ça. Je suis ce que je suis et je joue mes chansons. Mais oui, la façon dont j’ai arrangé une atmosphère autour de ma musique a surtout consisté à distordre et rejeter cet héritage, à communiquer le détachement qu’il m’inspire.
J’ai aussi été interpellé par la couverture de l’album. Est-ce que tu l’as faite toi-même ?
La pochette est une photo sur laquelle mon amie Ruby Kato Attwood a dessiné au pastel. Nous avons pensé qu’elle représentait bien ma musique. Ruby et moi, nous avions un groupe ensemble. Maintenant, elle a fondé Yamantaka//Sonic Titan, qui faisait aussi partie de ta liste d’awards.
Quelles sont les prochaines étapes pour toi ?
Je suis en train de préparer 2 albums. Un en solo et un autre avec un groupe. Le groupe est plutôt punk. On danse et on essaie d’évacuer. Mon album est un autre truc lent et effrayant. Ce contraste est vraiment, vraiment super pour moi. En ce moment, je suis à Toronto et je travaille sur un livre. Ensuite, je veux tourner autant que possible avant d’être trop vieux pour ça. 
Et en VO : 

Nobody here in France had reviewed you so far (which is a very sad thing), so I’m afraid nobody knows you here. How would you introduce yourself and your music? 
That’s not true. My friends Anne, Alexandre, André, and Nora in Paris know me. And my roommate Noelie is French. Kidding. I would like to say Salut la France! Je rencontre souvent des français à Montréal. Il semble qu’on habite presque dans la même pays au Québec. A friend of mine said my music is like Bertrand Belin, which is only a little bit true. I say my music is “irony free since 2003”. I would assume you have the same trouble with irony over there.  

What are your first music-related memories? 
My grandmother had an organ in her basement with the notes taped onto the keys and a book of Christmas carols. I remember learning Silent Night and drinking Coca-Cola. My brother and I used to go down there to wrestle or play crokinole, and I remember thinking the organ was the coolest thing. I guess I was about six. It’s funny because besides that I don’t remember anything music related until Colour Me Badd and the rapper Snow when I was about 11. I used to sing Informer in my grade 6 class. In grade 7 I did a lip sync of The White Stuff by Weird Al Yankovic for the talent show. It was a big hit with the 12 year-old babes, and we did it again at the school dance and the grade 8 talent show.

Before you made this album, you had played in band for a while. What made you decide to start a solo project ? 
I am always writing songs and I’m unlikely to break up with myself. The bands I’ve been in have emerged out of that and run their course. The solo album came about because the band dissolved. Most of my experience to that point was playing folk songs in apartments and lofts, and my emphasis had always been on song craft so it was a natural thing to make a solo album. It’s really an every day, all the time thing for me. I learned today that Garth Brooks had an alter ego Chris Gaines that was just as goofy as him, only the character was a rock star with eye-liner and goth hair. I’ve always thought of having another fictional self, so maybe there’s my inspiration. 

Your music sounds like something you would like to listen to when you’re alone lying on your bed. Would you say it’s music for lonely people?  
I’d say it’s music for people who are alone, but not necessarily lonely. I love to be alone and am happiest in one on one situations with people. That’s when you can breach difficult subjects, have un-self conscious interactions about meaningful things. I’ve always been uncomfortable with small talk and group conversation. It tends to stay too long at the surface. It brings out showiness in people. I like music most that feels like a one on one interaction, and I most definitely conceived this album that way. 
By the way, you’ve been elected (well OK, by me) « Melancholic Album of the Year » on my blog. How does that make you feel ? (cf http://jaitoutlutoutvutoutbu.blogspot.fr/2013/01/jai-tout-lu-tout-vu-tout-bu-awards-2012_7.html)  

Touched. I prefer your categories to what you’d find on most lists. I think it’s likely that many people would find categories of mood more useful than genres to describe what it is they’d like to listen to at any given moment. Over the years I was writing this album the music I listened to, and was moved by, was all melancholic, but of various genres, so I’d say it’s very apt. Songs feel best to me when you’re purging something painful. Otherwise I don’t have as much use for them. Melancholy is what I have to give. I’m cool with that.

I’ve been very impressed by your lyrics which are outstanding. Seems like you talk about yourself but it always tends to become universal. Is it something you really focus on ? 

In the end I think the lyrics are most relevant to the person singing them. Not everyone listens to the words, but everyone picks up on what the words mean to the singer by the way they sing, the same way intonation and expressions animate our speaking voices. For that reason I have made a point of putting personal and sensitive issues into my songs because of the way it affects the singing. That’s a way for me to aim my notion of succeeding at it beyond just immediate validation from the crowd. I think people pick up on that and then they’ll believe the words, and once they believe them, the words become well written.

Would you say that your music is a way to capture modern western melancholy ? 

Hmm. The cool way to answer would be to say I don’t think much about it. I could pretend I didn’t go to university for creative writing or give a shit about what I was saying. But the fact is some of these songs have very specific goals in terms of what they want to describe. About half were written entirely spontaneously and the other half were fussed over until they nailed something that resonated with an idea I wanted to express. 
All of these songs confront issues that I have felt really haunted and paralyzed by, and I worked at them in order to express the ways I felt those emotions were symptomatic of issues confronted by everyone. 

This album was very much about confronting cultural identity for me. I am ashamed of much of western history and I think that’s near universal for this generation. It’s how we were taught history. So to write a folk song means taking on a cultural identity that I find very troubling. I’m both reverent and irreverent toward it. I am what I am, and I strum my simple songs. But yes, the way I arranged an atmosphere around them was very much about distorting and casting them at a distance, to communicate the detachment that I feel toward that heritage.

I also appreciated the artwork of the album. Did you do it yourself? 

The cover is a photo that my friend Ruby Kato Attwood drew on with pastels. We thought it represented the music well. Ruby and I used to have a band together. She now fronts Yamantaka//Sonic Titan, which I noticed was also on your awards list! 

What are the next steps for you? 

I’m recording two albums. One of my own, and another with a band. The band is kind of punk. We dance and try to purge. My album is another slow, spooky thing. The contrast has been really, really great for me. Right now I’m in Toronto working on a book. Then I want to tour as much as possible before I’m too old to want to do that.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Afficher les boutons
Cachez les boutons