Drôle de situation en effet que celle de Julien Baer. Auteur-compositeur-interprète émérite, il a délivré en 4 albums et 15 ans de carrière, des dizaines de chansons pop belles et intelligentes, tout en restant largement confiné à un public restreint d’érudits mélomanes. Comment un artiste au talent protéiforme (il est aussi photographe à ses heures) et incontestable a-t-il pu rester aussi longtemps dans l’ombre? Est-il éclipsé par l’omniprésence médiatique de son frère? Car, dans la famille Baer, les dons ont été bien partagés. D’un côté, Edouard, trublion multifacétieux et beau parleur. De l’autre, Julien, chanteur rare et discret. Est-il boudé par les médias à cause de la complexité de ses chansons qui nécessitent souvent de multiples écoutes pour en goûter toute la richesse?

Possible, car les chansons de Julien Baer sont des petites pépites qui arrivent à pas de velours. La voix fragile, souvent susurrée, réclame toute l’attention de l’auditeur. Il faut tendre l’oreille pour saisir la substance du texte. Mais quel plaisir quand on y accède. Les orchestrations richement arrangées accompagnent à merveille ce chant aérien, cotonneux. Chaque chanson est fragile et belle à la fois. Les chansons de Julien Baer sont un peu comme des arcs-en-ciel. Lumineuses, colorées, quelque part entre la pluie et le soleil. Qu’il se tourne vers l’Afrique ou vers des sons plus seventies, Baer nous entraîne dans son sillage, à la recherche d’une instable perfection.

Une sensibilité exacerbée au service d’une esthétique pop sophistiquée et exigeante, Julien Baer est le nouveau dandy de la chanson française. Capable de varier les ambiances avec une maîtrise égale, il s’impose comme un digne poursuiveur de l’héritage gainsbourien (il y a du Melody Nelson dans les arrangements de Juillet 66). 

Depuis 1997, Baer sème aux quatre vents ses chansons à la mélancolie travaillée. Espérons  qu’avec cette Drôle de Situation, synthèse de ses 4 premiers albums complétée de morceaux inédits, il obtienne enfin la reconnaissance qu’il mérite.