Ami lecteur, ce matin, en me regardant dans le miroir, je me suis posé cette simple question : qu’est-ce qui, jour après jour, me pousse à étaler, dans des sommets d’impudeur, mes émois musicaux ? Je gesticule, je m’emballe, je gémis, je jouis et j’étale mes orgasmes sur la place publique alors que je pourrais tout aussi bien prendre mon pied en silence, dans l’intimité de ma chambre à coucher. Bien sûr, j’aime (la plupart du temps) les artistes que je chronique, d’un amour pur et sincère. Mais est-ce une raison suffisante pour hurler cet amour à la face du monde ? Tenir un blog, disait il y a quelques jours l’un de mes fidèles lieutenants, c’est parler des autres mais c’est aussi et surtout dire quelque chose de soi. Parler à la première personne, c’est se mettre en danger, se foutre à poil. C’est aussi savoir reconnaître ses faiblesses et ses insuffisances. Si je me suis lancé dans cette aventure, c’est parce que j’ai compris, à peu près simultanément, deux choses : 1) avec un sens du rythme aussi aléatoire que le mien, il était inimaginable que je devinsse musicien ; 2) je ne finirais jamais l’écriture de ce roman entamé au début des années 2000 dans ma chambre d’étudiant. En bref, j’aimais la musique mais je ne lui faisais pas honneur et j’aimais écrire mais j’étais trop paresseux pour les formats longs. Et voilà le travail. Sans la musique, je ne sais pas où j’en serais aujourd’hui. Mais ce qui est sûr, c’est que ma vie serait plus triste. Rendre à la musique ce qu’elle vous a donné, quand vous n’êtes pas vous-même musicien, c’est un défi permanent. Défi relevé avec brio et élégance par l’initiateur du projet Roseaux, Émile Omar.
DJ et programmateur de Radio Nova, insatiable chasseur de sons, Émile Omar réalise le rêve que caresse plus ou moins secrètement tout mélomane non musicien : passer enfin de l’autre côté de la barrière et créer de la musique. Il y a cinq ans, il prend contact avec deux amis musiciens : le multi-instrumentiste Alex Finkin et le violoncelliste Clément Petit, et leur proposent de collaborer à la création d’un album basé sur le réarrangement d’une dizaine de titres choisis par ses propres soins et provenant d’univers musicaux divers et variés. Ils se mettent au travail et, pour la voix, Émile repère un chanteur encore inconnu à l’époque, Aloe Blacc. On l’aura bien compris : Roseaux est donc avent tout l’histoire d’une belle rencontre entre un amoureux de la musique et trois musiciens talentueux. Une histoire qui dépasse les concepts de temps et d’espace puisque les dix titres sélectionnés couvrent quatre décennies, des années 60 aux années 2000, et trouvent leurs racines aussi bien en Europe et aux États-Unis qu’en Jamaïque ou au Brésil. Un éclectisme forcené qui ne masque pas pour autant l’incroyable cohérence de l’album puisque chaque morceau, qu’il s’agisse de trésors cachés comme Strange Things du jamaïcain John Holt ou de More Than Material de Patti Labelle, ou de standards comme Walking on The Moon de Police, se voit administrer un nouveau traitement, une relecture qui le rend à la fois méconnaissable et hautement désirable. Quelle élégance, quels délices se dégagent de ces îles de beauté d’où émerge la voix magique et sensuelle d’Aloe Blacc. Disons le tout de go : Roseaux est le meilleur album de l’année 2012 pour faire l’amour…