Liste de choses à faire. Prendre l’air. Faire du sport. Apprendre la valse. Changer de métier. Écrire un roman. Voir la fin de Twin Peaks. Parler de Some Say Leland…
La liste s’allonge de jour en jour. On avance, le nez dans le guidon. Jamais le temps de rien. Se poser ? Ne rien faire ? Regarder dans le vide ? Apprécier un coucher de soleil ? Une nuit étoilée ? Mais enfin, vous n’y pensez pas. Produisez, consommez. Accroissez, ex-croissez. Ne soyez pas égoïstes. Pensez à votre pays. On n’est pas là pour regarder les mouches voler. Au turbin, les parasites !
Il faut « monétiser », disent-ils. Les arbres, les oiseaux, votre temps, votre ADN, votre sœur, rien ne leur échappe, tout a un prix. Soit vous entrez dans leur jeu, soit vous allez vivre dans une yourte au milieu de la forêt, à manger des insectes, écouter les cris des animaux, écrire de la poésie ou vous adonner à toute autre activité inutile. Moi, je n’ai pas ce courage. La journée, j’accepte d’être un esclave. Mais le soir, quand la vie reprend son cours normal, je m’évade.
Parmi tant d’autres, je creuse des tunnels pour échapper aux bruits de la ville. Je m’invente des îles désertes ou des cabanes dans la forêt. Je me construis des mondes meilleurs, ou simplement différents. Des royaumes où des êtres indolents ne vivent qu’au son de la musique ou au rythme de la poésie. Éteins la lumière, ferme les yeux. Ami lecteur, nous partons en voyage.
La musique de Some Say Leland a ce pouvoir de vous emmener ailleurs. Elle a cette façon bien à elle d’être loin de la foule, d’être belle comme un panorama seulement accessible au randonneur émérite. Elle crée des brèches au cœur de nos quotidiens citadins. Elle est une pause, une récréation au milieu de notre course effrénée.
Le titre du nouvel album des Texans, Brought Low, évoque le fait d’avoir perdu son statut dans la société ou d’avoir été remis à sa place par des événements contre lesquels on ne peut rien. Et, effectivement, il y a, dans la musique de Some Say Leland, comme une invitation à l’humilité.
Leurs chansons ont quelque chose de fragile et de timide. Si elles arrivent, à petits pas feutrés, à se frayer un chemin jusqu’à nous, c’est sans doute parce qu’elles ne trichent pas, parce qu’elles ne s’embarrassent pas du superflu, ne cherchent pas à impressionner, mais se concentrent sur l’essentiel. L’émotion pure. La sublime tristesse de ceux qui échouent avec talent.
Servie par des arrangements folk entre tradition et modernité, l’écriture intimiste de Dan Grissom et sa façon de chanter, comme s’il nous murmurait des secrets à l’oreille, entrent en résonance avec ce sentiment, qu’on a tous déjà éprouvé, de ne pas être à la hauteur, de se heurter parfois à nos propres limites.
La musique de Some Say Leland est un miroir qui reflète les décalages entre ce que l’on est et ce que l’on voudrait (ou devrait) être. Cette semaine, pour plein de raisons, c’est exactement ce qu’il me fallait.