Il y a toujours une petite part de nostalgie lorsque vous dépassez la trentaine et que vous passez les vacances en famille à la mer. Assis sur votre paillasse de plage, badigeonné de crème solaire des orteils jusqu’au bout du nez, vous contemplez votre progéniture qui creuse des trous dans le sable au moyen d’une petite pelle en plastique coloré et votre compagne qui plonge gaillardement dans l’étendue d’eau salée. Bien sûr, vous êtes heureux. La preuve: vous souriez. Mais derrière cette activation passagère des muscles zygomatiques, une infime partie de vous-même regarde dans le rétroviseur. Retour rapide. Vous vous revoyez enfant, sur cette même plage. C’est vous qui creusiez alors, sous l’œil attendri de vos géniteurs. Que voulez-vous? Vous êtes monté en grade. Désormais, c’est vous qui conduisez la voiture familiale. Vous aussi qui choisissez l’emplacement idéal pour planter le parasol. C’est vous encore qui essuyez les larmes de votre fils lorsque vous annoncez avec regret qu’il est temps de lever le camp. Pause. Avance rapide. Vous êtes adolescent à présent. Sur cette plage ou sur une autre qui lui ressemble, vous êtes allongé sur le sable, entouré de vos meilleurs amis. La fille que vous convoitez est là aussi et son maillot de bain deux pièces ne cache presque rien des trésors auxquels vous aspirez. Vous avez d’ailleurs toutes les peines du monde à dissimuler votre émoi. On vous fait tourner un joint sur lequel vous tirez nerveusement. Le jour s’en va et vous ne l’avez toujours pas embrassée. Vous vous surprenez à repenser à tout ça alors que votre fils vous tire par le bras. En bon père de famille, vous vous mettez à déblayer le sable avec énergie, puis vous enfouissez la tête dans le trou que vous avez creusé. L’espace d’un instant, vous ne pensez plus à rien, vous faites l’idiot. Votre fils rit. C’est la plus belle des musiques qu’on puisse entendre en tant que parent. Quant aux Grandparents, c’est à peu près la plus belle des musiques que  j’écoute ces derniers temps.

Montez les sonotones et préparez vous à avaler vos dentiers car ces Grandparents-là n’ont rien à voir avec le club du 3ème âge du jeudi après-midi, les ateliers tricot et les parties de belote avec Marcel et Lucette. Originaires de Portland, où, décidément, la scène rock est extrêmement dynamique, Allison Faris, Marc Christiansen, Will Fenton, Ben Johnson et Dylan White ont tout ce qu’il faut pour devenir un groupe qui compte sur la scène indépendante. Une capacité étonnante à balancer des riffs assez simples mais tellement efficaces, des refrains forts et accrocheurs, des harmonies vocales dévastatrices et un je-ne-sais-quoi de plus qui me rappelle un peu les premières fois où j’ai écouté MGMT, un mélange d’expérimentation, de décontraction et de talent. Écoutez Fumes et vous comprendrez vite ce que je veux dire. En un peu de moins de sept minutes, ce qui débute comme une inoffensive et guillerette chanson pop se transforme en une toile sonore magnifique et invraisemblable. Un labyrinthe dans lequel on se plaît à se perdre et qui révèle toute la richesse et le potentiel du groupe. Une richesse qui se conçoit dans la diversité puisque, à ce joyeux déferlement, succède Golden Isles, un titre d’une chaleureuse simplicité, le genre de tube imparable que vous adorez jouer autour du feu pour faire craquer les filles. On ressent en tout cas chez Grandparents un réel souhait de ne pas s’enfermer dans un schéma unique mais, au contraire, une volonté de varier les plaisirs en alternant les structures et en changeant régulièrement de chanteur principal. Un parti pris qui fait défaut à beaucoup de groupes et qui, en toute logique, devrait leur permettre de tenir sur la durée. Leur premier album, prévu pour 2013, pourrait bien sonner l’heure de la révélation. Voilà ce qui se passe, affirme leur biographie, “quand Brian Wilson, Anton Newcombe et Kevin Shields retirent leurs vêtements et font l’amour dans une cacophonie sonore”. Le psychédélisme rêveur et embrumé de Grandparents n’a pas fini de vous faire tourner la tête. Je ne sais pas à quoi Ben Johnson et ses acolytes sont dopés mais ce qui est sûr, c’est que ça fait planer haut, très haut…