Mes vinyles qui craquent – Ep.3 : The Pretty Things – SF Sorrow

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L’histoire du rock est une route sinueuse, émaillée de nombreuses erreurs de jugement dont certaines sont devenues légendaires. Le refus du directeur artistique de la maison de disque Decca, Dick Rowe, de signer les Beatles en 1962, en est un exemple célèbre. Heureusement que Parlophone ne commit pas la même bourde et que Decca, se rattrapa, un peu plus tard, en faisant signer un contrat aux Rolling Stones. Si j’en crois la proportion phénoménale de groupes brillants qui restent non signés, je pense que le constat sur l’incompétence des directeurs artistiques est encore aujourd’hui d’actualité, d’autant que la musique est, pour beaucoup, devenue un business où les qualités musicales sont le plus souvent sacrifiées sur l’autel de la rentabilité. Quand on sait que les Klaxons ont dû revoir leur copie, jugée trop expérimentale, avant de pouvoir sortir leur deuxième album, il y a lieu d’être inquiet. Autre source d’erreur: la presse musicale, souvent prompte à encenser des groupes médiocres et régulièrement encline à laisser passer inaperçus d’authentiques chefs-d’œuvre. Pourquoi autant d’articles sur Rover ou Foster the People et aussi peu sur Extra Life? Soyez honnêtes, Messieurs les journalistes, c’est une aberration au vu des qualités respectives de ces artistes. Troisième et dernière source d’injustice, la plus conne qui soit : la poisse, le manque de bol, la scoumoune. Malheureusement pour eux, les Pretty Things ont eu la malchance de cumuler les trois facteurs. Auteurs sans doute de l’un des plus grands albums de l’histoire du rock, SF Sorrow, sorti en 1968, ils sont complétement passés à côté de la reconnaissance qui leur est due…
Au début des années 60, les jeunes Anglais commencent à se lasser du rock’n’roll et de ses vedettes américaines aseptisées. Ils trouvent dans le rythm’n’blues une musique plus brute et plus charnelle qui colle davantage à leurs nouvelles aspirations. Ils ne veulent plus uniquement se contenter d’écouter la musique venue d’outre-Atlantique, mais, dès qu’ils ont un peu d’argent de côté, il s’achètent des guitares électriques, montent leurs propres groupes et reprennent à leur manière les standards du blues américain. De ces formations au talent divers, émaneront quelques-uns des plus grands groupes de l’histoire du rock. Les Rolling Stones font figure de pionniers mais, très vite, les guerres d’ego au sein du groupe amènent certains membres à quitter le navire. C’est le cas du bassiste Dick taylor qui, avec son ami Phil May, fonde les Pretty Things. Considérés à tort à leurs débuts comme un clone des Stones (première erreur de jugement), les Pretty Things joue un rythm’n’blues plus brut et plus puissant que les pierres qui roulent. La réputation sulfureuse du groupe, les frasques de leur batteur Viv Prince, leur comportement volontiers subversif et outrancier et, surtout le refus de leur manager de l’époque de les faire tourner aux États-Unis (deuxième erreur!), à l’inverse de leurs concurrents, sont pour beaucoup dans la relative méconnaissance dont ils font l’objet. En 1966, Viv Prince est poussé vers la sortie et la vague rythm’n’blues commence à s’essouffler. Les Pretty Things décident d’écrire un nouvel album au style radicalement différent, plus tourné vers la pop et le psychédélisme. Ils se réunissent et composent eux-mêmes toutes les chansons mais l’album est dénaturé par la post-production imposée par la maison de disques (troisième erreur). Furieux, mais libérés de leur contrat, ils signent chez EMI et s’enferment, courant 1967, aux studios Abbey Road, pour y enregistrer SF Sorrow.
Et en 1967, Abbey Road, c’était un peu the place to be. Pendant que les Pretty Things planchaient sur leur album, d’un côté les Beatles enregistraient le bien connu Sgt Pepper’s et, de l’autre, Pink Floyd travaillait sur son Piper at the Gates of Dawn. Autant dire, ma bonne dame, mon bon monsieur, que ce n’était pas un, pas deux, mais bien trois disques mythiques qui étaient en train de se goupiller au même endroit, au même moment. Avec le producteur Norman Smith, les Pretty Things rivalisent d’imagination pour expérimenter de nouveaux sons. Ils empruntent même les instruments des Beatles quand ils sont en dehors du studio. SF Sorrow marque un tournant dans l’histoire du rock puisqu’il s’agit du premier concept-album ou, comme on le disait l’époque, opera-rock. Imaginée par Phil May, la trame du disque suit la vie du personnage éponyme de la naissance à la vieillesse. SF Sorrow est l’un des plus grands chefs-d’œuvre du psychédélisme, un de ces disques qui regorgent de trouvailles et d’imagination et, tout simplement l’un des meilleurs albums de tous les temps. Mais, malheureusement, des problèmes de post-production (encore!) et la défection du batteur Skip Alan qui, par amour pour une belle Française, quitte le groupe pendant l’enregistrement, retardent la sortie de plusieurs mois. Mauvais timing car, entre-temps, les Who sortent leur concept-album Tommy, et la presse américaine accusera, à tort (encore une fois), les Pretty Things de s’être engouffrés dans la brèche. Comble de malchance, le psychédélisme commence à être passé de mode, et, pour couronner le tout, SF Sorrow sort la même semaine que Beggars Banquet des Stones et l’album blanc des Beatles. Si, ça, c’est pas de la poisse! En tout cas, très injuste pour un groupe qui a inspiré bon nombre de grands artistes parmi lesquels David Bowie ou les Sex Pistols et qui aurait sans doute mérité un tout autre destin.

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