J’ai entendu : Daughn Gibson – All Hell

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Ami lecteur, après une rocambolesque escapade professionnelle nancéienne, me voici, fidèle au poste, toujours affamé de découvertes musicales. J’espère que, toi aussi, tu as faim, car, pour ma part, je suis très gourmand en ce début de semaine. Mais avant de te mettre l’eau à la bouche avec ce qui restera dans mon panthéon personnel comme l’un des plus grands albums de l’année 2012, permets-moi de revenir un instant sur mon périple lorrain. Je n’ai jamais été féru de conduite automobile. D’ailleurs, lorsque, il y a une douzaine d’années, je passais mon permis, je me suis révélé un gouffre sans fond pour mes parents et une aubaine pour mon moniteur d’auto-école, qui aurait pu en profiter pour se construire une résidence secondaire en bord de mer. Destins croisés. Feux de croisement. Je m’emmêlais les pédales tant et si bien qu’il m’a fallu cinq essais et une inspectrice douée d’un minimum de compassion pour obtenir enfin le précieux sésame rose. Depuis, je ne m’assois au volant qu’après m’être dix fois assuré que personne d’autre ne pouvait me suppléer. Le plus souvent, je m’installe côté passager, à la place du mort. Feux de détresse. Mourir ou conduire, il faut choisir. Mais là, déplacement professionnel oblige, je n’ai pas eu le choix. Je me suis assis – feux de position – côté conducteur et j’ai fait tourner la clé de contact là où, habituellement, elle tourne. Pensez-vous que le ciel aurait été clément? Une vraie purée de pois à n’y plus rien voir. Feux de brouillard. Accroché au volant comme une huître à son rocher, j’ai prié, moi qui ne suis pas croyant, tous les dieux du ciel, pour arriver sain et sauf. Dans les rond-points, je ne tournais pas rond. Personne à qui céder le passage, personne pour me remonter les bretelles d’autoroute. Priez pour moi, pauvre chauffeur, maintenant et à l’heure de ma mort. Ah merde… J’ai calé. 

Daughn Gibson, beau brun ténébreux, parangon de virilité (et de pilosité) – poils qui dépassent de la chemise à carreaux, poils qui encadrent un visage rugueux – incarne le mâle dans toute sa splendeur. Le genre de gars qui a l’air foutrement sûr de lui et sévèrement burné auquel un mec comme moi n’irait pas chercher des noises dans un snack d’autoroute. Daughn n’a pas le profil du gugusse qui cale en bagnole, mais plutôt celui du rouleau-compresseur qui défonce tout ce qui se présente sur son passage. Un coup d’œil rapide à sa biographie m’apprend qu’il était chauffeur routier dans une vie antérieure et aussi batteur d’un groupe de stoner metal nommé Pearls and Brass. Bref, je me disais que ça allait certainement cogner dur. Le propre label du bonhomme définissait sa musique comme de la cocaïne country. Là aussi, on aurait pu s’attendre au pire : imaginez Jean-Luc Delarue se lançant dans une imitation de Johnny Cash. Fort heureusement, rien de tout ça. Juste une énorme claque. Vous enclenchez la lecture de l’album All Hell et vous assistez au mariage improbable du passé et du futur. Comme si un redneck de Pennsylvanie venait de rencontrer une civilisation futuriste et qu’il en sortait un disque en forme d’OVNI. Daughn Gibson est un héritier d’avant-garde. Du passé, il amène des samples country et cette façon old school de raconter des histoires et de les chanter d’une voix très grave, façon ours des cavernes. Du futur, il importe des structures bizarres et des instrumentations électroniques intrigantes. A la fois retour aux sources et fuite en avant, et plongée en négatif dans les tréfonds d’une âme torturée, All Hell est en même temps sombre et catchy. Inquiétant et prodigieux. Fascinant et fantomatique. Pas le truc à faire la une des magazines mais, au final, un petit miracle d’une trentaine de minutes. Le genre d’album que quelques initiés ressortiront dans 30 ans pour un numéro spécial sur les trésors cachés. Sublime…

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