Les trésors cachés – Ep.10: Mary Margaret O’Hara – Miss America

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Faisons chauffer une nouvelle fois la machine à remonter le temps de J’ai tout lu, tout vu, tout bu…Direction l’année 1988. J’ai 8 ans et la décennie du mauvais goût bat son plein. Au cours élémentaire, on se shoote aux polycopiés et à la colle Cléopâtre. Le mercredi, on regarde le club Dorothée avant l’entraînement de foot. Au goûter, on mange des Raider et des Bamboula en buvant du Tang ou du Banga. Internet n’existe pas encore mais, heureusement, en France, on a inventé une technologie de pointe que le monde entier nous envie: le Minitel. On joue à Hugo Délire avec les touches de notre téléphone en fantasmant sur les décolletés de Karen Chéryl. On collectionne les pin’s et on s’échange des crados dans la cour de récré. A la radio, Florent Pagny chante déjà n’importe quoi et Desireless voyage toujours deux fois. Bref, l’horreur absolue. Et, pourtant, cette même année, sort un album magnifique qui, à mon sens, fait partie des plus grands disques de tous les temps. Cette pure merveille s’appelle Miss America et est l’œuvre de l’artiste canadienne Mary Margaret O’Hara. Comment se fait-il que je découvre ce chef-d’œuvre aussi tardivement, me demanderez-vous. Et bien, il se trouve que c’est le seul et unique album enregistré par l’une des plus grandes voix de la musique contemporaine. Un pur concentré de perfection offert par une artiste unique, exigeante, rare et imprévisible, que j’ai découverte, un peu par hasard, récemment en regardant le documentaire All Tomorrow’s Parties. A un moment dans le film, Warren Ellis, de Dirty Three demande à un festivalier s’il a vu le concert de Mary Margaret O’Hara. Trois clics et quelques jours d’attente fébrile plus tard, voilà enfin le 33 Tours dans ma boîte à lettres. Depuis, il n’a pas quitté ma vieille platine vinyles.

Miss America est, à bien des égards, un album déroutant. Tantôt tendre, tantôt extravagant, il semble partir dans mille directions à la fois avec pour fil conducteur la voix exceptionnelle de Mary Margaret O’Hara. C’est le genre de disques qui ne libère tous ses arômes qu’après plusieurs écoutes successives. Chaque morceau, pris individuellement, est un trésor de composition et d’arrangements. L’album est une succession de surprises qui peut s’avérer déconcertant de prime abord mais qui témoigne surtout du génie multiforme de son auteure. Du début à la fin, Miss America oscille entre ballades country, rythmes déments témoignant d’une liberté peu commune, titres rappelant de vieux standards du jazz et mélodies pop-folk. Mary Margaret O’Hara ne s’impose aucune limite mais, au contraire, excelle dans toutes ces variations. Vocalement, l’album est très largement au-dessus du lot. Sur certains titres, la chanteuse offre de puissantes contorsions vocales alors que sur d’autres, elle se fait douce et caressante. Rares sont les voix capables d’exprimer une palette d’émotions aussi large et, de ce point de vue, Mary Margaret O’Hara est exceptionnelle de sensibilité, au même niveau, pour moi, qu’un Jeff Buckley. L’immense qualité des musiciens qui l’accompagnent mérite également d’être soulignée. Car si la voix atteint une perfection inégalée, Miss America se distingue aussi par ses arrangements et structures originaux, n’hésitant pas à rompre avec les conventions et à s’aventurer sur des terrains plus  expérimentaux. Dans tous les cas, soit le disque avait des milliers d’années-lumière d’avance sur son époque, soit le temps n’a pas de prise sur lui. Car, aujourd’hui encore, il témoigne d’une étonnante modernité et d’une salutaire liberté de ton. On regrettera bien sûr qu’il s’agisse, à ce jour, du seul album officiel d’une artiste hors norme. Une occasion de plus, après Kevin Rowland, de s’interroger sur le fonctionnement défectueux d’une industrie musicale qui semble incapable d’accueillir en son sein les plus grands génies de son temps sans les souiller ou les dénaturer. Toutes les apparitions et contributions de Mary Margaret O’Hara sont scrutées par des milliers de fans partout dans le monde, guettant l’annonce d’un nouvel album. Mais, bien qu’elle avoue avoir des centaines de chansons dans ses tiroirs, l’envie de donner un petit frère à Miss America ne s’est pas encore fait sentir. Raison de plus pour écouter en boucle ce disque unique et fascinant.

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