J’ai entendu : Daniel Darc – La taille de mon âme

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Je me tournais les pouces au bureau lorsque la nouvelle est tombée : “Daniel Darc est mort”. Trois décennies qu’il échappait à la faucheuse, le Darc, comme un torero se soustrayant à l’encornage fatal. Le survivant, le miraculé, c’est comme ça qu’ils l’appelaient, les plumitifs à deux balles. Son corps encore chaud, les voilà qui rappliquent, attirés par l’odeur de souffre, pour nous servir leurs platitudes. Disséquer l’homme pour mieux l’assécher. Étaler en toutes pages sa légende, édulcorer ses zones d’ombre. Ce ne sont pas des journalistes mais des thanatopracteurs qui ne cherchent qu’à rendre le mort présentable. Darc, le fils de prolos, écorché vif, marginal, mort une dizaine de fois et chaque fois ressuscité, junkie revenu de tout (ou presque), a même droit à sa rubrique nécrologique dans le Figaro. Ça me fait doucement marrer. Ou non, ça me donne plutôt envie de gerber. C’est fou comme, en passant de vie à trépas, on gagne en respectabilité. L’œuvre et l’homme, tout à coup, trouvent grâce aux yeux de tous. J’ai pas connu Taxi Girl. Trop jeune. Mais, quand j’écoute leurs chansons aujourd’hui, je n’entends pas grand-chose qui mérite d’être sauvé. Musicalement proche du néant, porte ouverte sur le pire de la musique française, d’Indochine à Lescop, rien, hormis le charisme équivoque de Darc, ne justifie qu’on s’y attarde. D’ailleurs, à part quelques baby-boomers has been, qui écoute encore Taxi Girl ? Alors, icône rock’n’roll, le Darc ? Pendant longtemps, c’est l’homme qui a sauvé l’œuvre. Et puis, en 2004, avec la sortie de l’album Crève Coeur, Darc renaît musicalement, trouvant enfin l’habillage idoine pour ses textes lumineusement tourmentés. Renaissance, rédemption, réhabilitation qui se poursuit avec les deux albums suivants, Amours Suprêmes et La taille de mon âme.

Il serait facile, après-coup, de voir dans La taille de mon âme le testament discographique de Daniel Darc. On le voit sur la pochette rejoindre Dieu avec sa vie dans une valise. Et quand on ouvre, Darc s’est barré. Il ne reste plus que sa paire de bottes sur une plage désertée. A-t-il trouvé la paix, celui qui chantait : “Quand je mourrai, j’irai au paradis. Car c’est en enfer que j’ai passé ma vie” ? Espérons-le car, ici-bas, il ne se sera pas ménagé, buvant parfois le calice jusqu’à la lie. Souvent acculé dans les cordes, mais jamais K.O., encaissant les coups sans sourciller, cent fois il aurait pu s’effondrer, cent fois il s’est relevé, conjurant le poids des maux par le poids des mots. La taille de son âme ? XXL. Quand, de sa voix d’éternel gamin, il chante ses errances passées, ses peurs, ce qu’il lui reste d’espérance, on sait qu’on a affaire à un mec qui ne triche pas. Darc se met à nu comme personne. Il enlève ses habits, arrache sa peau tatouée et nous laisse regarder à l’intérieur. Darc est grand parce qu’il ne cache rien ; il est le maître inégalé de l’effeuillage. Son écriture est physique et poétique. Ce sont les mots de celui qui a traîné dans les bas-fonds et qui s’est élevé par le verbe. De celui qui écrit pour ne pas sombrer, pour ne pas mourir. Darc est dark, mais sous sa plume, la noirceur devient lumineuse. Pour cela, Daniel Darc, sois sanctifié.

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