J’ai interviewé : Nicolas Grenier

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J’avais, il y a quelques temps, appelé de mes vœux une année 2013 pleine de poésie. Je ne croyais pas si bien dire puisque, quelques jours à peine après avoir émis ce souhait, j’échangeais mes premiers mots avec Nicolas Grenier. Pour ceux qui, comme moi, ne sont guère versés en poésie contemporaine, sachez que Nicolas est l’un des poètes majeurs de la nouvelle génération, et le réinventeur, disent ceux qui savent, du haïku urbain. Et, en plus, il collabore avec une myriade de compositeurs internationaux de grand talent qui mettent ses mots en musique. Il n’en fallait pas plus pour attiser ma curiosité et me donner l’envie de lui poser ces quelques questions…

Il me semble que la poésie souffre, dans les sociétés contemporaines, d’une grande méconnaissance et d’un relatif désintérêt du grand public. Comment l’expliquez-vous et, selon vous, quel rôle le poète a-t-il à jouer au 21e siècle?
La poésie, au XXIe, siècle, semble décliner en apparence. En fait, elle reste vraiment vivante dans les cœurs, puisqu’il est étonnant de constater que beaucoup d’entre nous, à tout âge, écrivent des poèmes depuis l’enfance, sur le mode du journal intime. Depuis les lois Jules Ferry sous la Troisième République, la poésie établit ses quartiers dans les écoles. Au-delà, chaque poète est libre de jouer un rôle dans la société civile et la vie citoyenne de son pays. Aux États-Unis, depuis 1961, chaque Président américain invite un poète officiel pour la cérémonie d’investiture. Pour son second mandat, Barack Obama a fait appel à Richard Blanco, poète latino-américain.
Pourquoi recourir à des formes classiques (le tanka ou le haïku, par exemple) pour traiter de sujets contemporains? Ces cadres stricts ne constituent-ils pas une limite à votre créativité?
Quand j’écris un poème, j’aime fixer un cadre formel. Nous vivons dans une société de la vitesse et de l’instantanéité, c’est pourquoi les formes brèves du tanka et du haïku coïncident avec les perspectives du monde contemporain. Pour le sujet, j’évoque tout aussi bien les objets de la société de consommation (McDonald’s, Starbucks, Zara…), les figures de la société de l’émotion (Martin L. Gore, Sébastien Tellier…) que les cités du pouvoir (Elysée, Maison Blanche…).
Vous écrivez de la poésie en français, en anglais et en allemand, vous utilisez des formes issues notamment de la culture japonaise alors que, dans l’idée que se font les gens de la poésie, elle correspond souvent à un “héritage” ou à un “patrimoine” culturel national. Chez vous, ça semble davantage être un pont entre les cultures. Est-ce à dire que vous vous voyez comme un citoyen du monde plutôt que comme quelqu’un qui perpétuerait une tradition poétique française?
Je me souviens du poète Rainer Maria Rilke qui, après avoir composé une œuvre en langue allemande, redécouvre la langue française au terme de sa vie dans les Quatrains Valaisans, afin d’acquérir la citoyenneté suisse. Peut-être, à ce rythme, avec mes poèmes américains, je devrais un jour demander la nationalité américaine. En fait, je serai plutôt un citoyen cosmopolite au début de ce XXIe siècle, héritier de la culture judéo-chrétienne.
En mettant en musique vos textes et en accordant aussi une grande importance à la photographie et à l’image, vous faites sauter les barrières entre les disciplines. L’art, aujourd’hui, pour être “visible”, doit-il nécessairement être pluridisciplinaire?
Quand un artiste créé aujourd’hui, il doit avoir une connaissance réelle des problématiques de l’art contemporain. A mon sens, le créateur, y compris le poète, et c’est le propre de la curiosité intellectuelle, a pour obligation de rester en veille sur des disciplines, comme l’architecture, la mode ou la photographie.

Sur le volet musical de votre œuvre, vous collaborez avec des musiciens du monde entier. Comment choisissez-vous ces collaborations?
Parfois, à l’écoute d’une composition de haute tenue, j’ai un coup de cœur, alors je tente ma chance. La musique, par essence universelle, parle toutes les langues du monde. Comprenez bien que j’adore découvrir des talents rares, et je le souhaite, le “génie” au milieu de nulle part, c’est un défi constant dans un contexte de création.
Comment se passe la collaboration? Est-ce que vous intervenez directement dans les aspects musicaux ou est-ce que vous laissez libre cours aux compositeurs d’interpréter vos mots à leur façon?
D’une façon générale, je laisse chaque compositeur créer son atmosphère autour de mes mots. Quand vous rencontrez le talent d’un artiste, il y a de fortes chances qu’il oeuvre dans le bon sens esthétique.

Cette mise en musique n’est-elle pas aussi un moyen détourné de faire accéder un plus grand nombre de personnes à votre poésie?
Oui, c’est une façon de montrer que la poésie est soluble dans les musiques classique et électronique. Vous savez, toutefois, l’échange entre musique et poésie ne date pas d’aujourd’hui, Pierre Boulez et Gabriel Fauré ont fusionné leurs notes avec les mots.

Sur quels projets travaillez-vous actuellement et quelles sont les collaborations à venir?
J’ai écrit un recueil de haïkus sur La Défense, préfacé par Jérôme Attal, avec une étude de Nathanaël Gobenceaux. Côté musique, Bruno Sanfilippo, Sylvia Filus, Laetitia Schteinberg, et j’en oublie, mille fois désolé, préparent de singulières merveilles.

Portrait par Bertrand Naivin

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