Le groupe que les autres écouteront dans un an – Ep.62 : Yes Know

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Nous vivons dans une société obsédée par la vitesse. Nous voulons toujours plus, toujours plus vite, comme des enfants gâtés qui convoitent un nouveau jouet. Accumuler les biens et les expériences, voilà donc ce qui nous motive. Réussir sa carrière professionnelle, être un bon père de famille, faire du squash, de l’équitation, du tir à l’arc, voyager en train, en avion, en voiture, à dos de chameau, faire l’amour, écrire un blog, sortir avec ses amis, apprendre le didgeridoo, le ukulélé ou la flûte traversière, manger des sushi, des salades périgourdines ou des accras de morue, faire des inventaires à la Prévert pour terminer plus vite une introduction, j’en passe et des meilleurs, nos vies se résumeraient donc à une gigantesque course contre la montre. Comme le temps disponible se résume à un forfait unique et non négociable de 24 heures par jour et que notre existence terrestre est, par définition, limitée dans le temps, il découle de notre mode de vie un sentiment inévitable de frustration et une sensation de constante bousculade, un décalage permanent entre ce que nous attendons de la vie et ce que nous en obtenons. A vouloir esquiver à tout prix toute activité chronophage, on se prive de bon nombre de petits plaisirs de la vie. Pourquoi devrait-on lire les nouvelles du matin en moins de vingt minutes, manger en moins de quinze minutes ou baiser en moins de cinq minutes chrono? Il faut réintroduire de la lenteur dans notre mode de vie, trouver la bonne cadence, le tempo idéal. Pareil en musique. A quoi bon s’égosiller, marteler les cordes de guitare jusqu’à ce qu’elles cassent ou faire monter la sauce jusqu’à griller l’ampli? Avec Yes Know, on est loin du tohu-bohu généralisé. Au contraire, ses deux albums Place et Over Under montrent à quel point la richesse n’implique pas nécessairement l’excès de moyens.
Aujourd’hui, si l’on veut faire de la musique, nul besoin de passer une petite annonce sur le tableau d’affichage du lycée, de se taper pendant toute une journée un défilé de batteurs survoltés, mollassons, manchots, saouls, tétraplégiques, demeurés ou atteints d’arythmie pathologique, ni même de s’acoquiner avec un insupportable beau gosse guitariste qui fait mouiller toutes les filles avec sa mèche rebelle et trois accords basiques. L’ère digitale est passée par là, rendant presque caduc le concept de groupe. Aujourd’hui, vous pouvez faire de la musique, tout seul, au bout du monde, enfermé à double tour dans votre chambre à coucher. Avec deux ou trois instruments, quelques pédales d’effet et un matériel informatique performant, vous pouvez, sans ôter vos pantoufles, fabriquer une musique que les mélomanes obsessionnels compulsifs écouteront à l’autre extrémité de la planète. Économie de ressources humaines et d’énergie. Économies de moyens aussi. Prévenez tout de suite Rémy Bricka. Fini le temps où l’homme-orchestre devait se harnacher tout autour du corps un équipage brinquebalant d’instruments de bric et de broc. Merveilleux, n’est-ce pas, Rémy? Musicien de chambre à coucher, c’est quand même moins encombrant, non? Ça ouvre en tout cas de nouvelles perspectives à tout un panel d’individus introvertis, solitaires et un peu geek sur les bords. Sandy Gilfillan, alias Yes Know, est l’un de ces bidouilleurs solo pour lesquels la technologie est autant un moyen de faire de la musique qu’une source pour la diffuser. Venu de nulle part, si ce n’est de Los Angeles, non signé, il a sorti en 2011 deux albums carrément obsédants de ce que les fournisseurs officiels d’étiquettes appelleraient probablement de l’indie-folk électronique. Une musique assurément contemplative par laquelle on ne peut que se laisser porter. Fermez les yeux, vous êtes allongé sur un radeau et vous voguez sur un long fleuve tranquille avec le ciel étoilé pour seul témoin. Prendre le temps, ne pas se précipiter. Se laisser aller, ne plus penser à rien. S’offrir une pause. Changer de rythme. Inspirer, expirer. Se sentir vivant! Merci Yes Know…

 

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