Le groupe que les autres écouteront dans un an – Ep.73: Blackfeet Braves

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Bientôt les vacances. L’appel du large. Les grands espaces sauvages pris d’assaut par des visages pâles à col blanc au volant de leurs six chevaux fiscaux. Mépris de l’autochtone, cauchemar climatisé, plaisirs auto-centrés. Glaces trois boules en bord de mer, petit pull en V autour du cou, chaussures bateau pour avoir l’air cool au moins deux semaines dans l’année, Papa Col Blanc conduit sa petite tribu dans un monospace flambant neuf. Le bonheur à crédit. Maman Col Blanc désigne du doigt indifféremment l’indigène et l’animal sauvage sur le bord de la route. Le trajet lui semble bien long. Maintenant que le GPS l’a remplacée dans ses missions de guidage, plus besoin de sortir la vieille carte routière, finis les engueulades conjugales sur l’itinéraire à suivre et les repliages fastidieux qui faisaient paraître plus court le trajet. Plus davantage besoin de guetter les panneaux indicateurs ou de scruter la course des étoiles. Maman Col Blanc peut en toute sérénité se curer les ongles, parfaire son maquillage et donner la becquée à ses petits avant de s’endormir. Quand la voix robotique annonce “Vous êtes arrivé à destination”, Papa Col Blanc émet un soupir de soulagement, Maman Col Blanc sort de son hypnose et les petits collent le nez aux vitres comme s’ils ne voulaient rien manquer du film qui va commencer. D’autres petites tribus, semblables à celle-ci, installent déjà leur campement sous l’oeil malicieux des locaux. Quelques piquets, une toile, un matelas, et un petit nécessaire de chercheur d’or amateur. La Nature avec un grand N en toile de fond, mais le smartphone toujours à portée de main, c’est parti pour l’aventure. Chaussures de marche neuves depuis dix ans, gourde isotherme avec l’étiquette du prix encore collée dessus, la famille Col Blanc marche au pas de l’oie, en quête de sensations fortes mais sans trop dévier des sentiers balisés. A un carrefour, ils croisent quatre jeunes gens hirsutes et vraisemblablement défoncés qui jouent de la musique autour d’un gigantesque feu de camp. Maman Col Blanc bouchent les chastes oreilles de ses rejetons. Papa Col Blanc, d’abord interloqué, reprend ses esprits et adresse un timide salut aux musiciens. Un geste à peine bredouillé comme pour signifier “Nous venons en paix, amigos”. L’un des musiciens sourit, se lève et invite la tribu Col Blanc à s’asseoir et à partager le calumet de la paix. “Nous sommes les Blackfeet Braves”, dit-il au père qui manque de s’étouffer avec la fumée.

Quelques calumets plus tard, la famille Col Blanc se laisse envahir par la douce mélopée des Blackfeet Braves. C’est une musique qui se laisse mieux apprivoiser l’esprit léger et le corps en apesanteur. Les guitares s’entremêlent et font flotter dans l’air une farandole de notes gracieuses et colorées. Un peu comme ces bulles de savon après lesquelles les enfants s’amusent à courir sans jamais pouvoir les atteindre. La voix de Julian Ducatenzeiler ne cherche jamais à s’imposer en force. Le chant se contente d’accompagner le mouvement nonchalant des vagues instrumentales. Il y a quelque chose d’instinctif et de sensuel dans les compositions des Blackfeet Braves. Un savant mélange de retenue et d’appétit sexuel. Une solide culture musicale aussi, comme en témoigne le blog de Julian qui fait cohabiter Otis Redding, Françoise Hardy et Ravi Shankar. Il se dégage en tout cas une véritable magie de ces Demos/First Cuts qu’on imagine enregistrées à l’arrache dans un obscur local avec du matériel à deux balles. On a l’impression d’une longue marche dans le désert. Sous le soleil qui cogne sans faiblir, les jambes et les têtes deviennent cotonneuses. La musique s’insinue et atteint directement le cerveau, faisant naître des mirages et des oasis imaginaires. Voyage mystique dans des contrées arides, chef-d’œuvre de psychédélisme lo-fi inspiré, cette première incursion dans l’univers des Blackfeet Braves se révèle à la fois intense et hypnotique. Un “album” brillant de la première à la dernière note qui ne vous lâchera plus une fois que vous aurez commencé à l’écouter. Pour moi, c’est clair, ce sera mon road-trip de l’été…



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